La guerre des rats(1999)
probablement, dans l’obscurité d’un sac en toile. On était sûrement à court de caisses en sapin, maintenant.
Nikki plissa les yeux dans la blancheur cinglante de la neige, regarda le bombardier Heinkel He-III rouler sur la piste et s’arrêter à quarante mètres de sa voiture d’état-major. C’était la première neige de l’hiver russe, en avance d’un mois sur les flocons les plus précoces que Nikki se rappelait avoir vus tomber dans sa Westphalie natale.
Le rugissement des moteurs du bombardier culmina puis s’éteignit. Les hélices s’immobilisèrent. L’appareil demeura quelques minutes dans le silence et la solitude : personne ne s’en approcha, personne n’en descendit. Les mains enfoncées dans les poches, Nikki sautillait sur ses orteils pour lutter contre le froid.
La porte du milieu de la carlingue s’ouvrit ; un sac en toile tomba sur la piste. Un homme sauta aussitôt après, se reçut lourdement. Il ramassa le sac, se mit à marcher sous la neige.
Les moteurs du Heinkel redémarrèrent tandis que la silhouette s’approchait. L’homme portait un long manteau noir sans insigne, une casquette en feutre noir à large visière, visiblement neuve. Il tendit son sac à Nikki, passa devant lui pour monter dans la voiture.
L’inconnu était plutôt rond, pas plus grand que le caporal. Voilà donc le maître tireur envoyé par Berlin, pensa Mond. Je m’attendais plutôt à un titan, à un guerrier aux mâchoires de granite et aux yeux bleus. Bon, je m’étais fait un roman. Cet homme pressé de se mettre à l’abri du froid dans la voiture paraît plutôt douillet. Il doit être très, très bon.
Nikki mit la voiture en marche, quitta la piste. Il ne tira pas sur la manette du chauffage mais attendit que le moteur chauffe avant d’ouvrir l’arrivée d’air.
— On gèle, se plaignit l’homme à travers l’écharpe qui lui couvrait la bouche. Vous auriez pu laisser tourner le moteur en m’attendant. Il aurait fait chaud dans la voiture.
— Je m’excuse, mon colonel, dit Nikki en regardant son passager dans le rétroviseur. Votre avion avait du retard, je n’ai pas voulu gaspiller du carburant.
Il tira la manette, libérant un courant d’air froid. Les deux hommes gardèrent le silence tandis que la voiture roulait sur la route de terre battue menant au QG d’Ostarhild. Nikki observait l’inconnu à la dérobée dans le rétroviseur. Ce n’est que lorsqu’il fit enfin chaud à l’intérieur qu’il dénoua son écharpe et releva la visière de sa casquette. Croisant le regard de Nikki dans le miroir, il sourit.
— Quel est votre nom, caporal ?
— Nikolas Mond, mon colonel. De Westphalie.
— Ah oui, fit l’officier, regardant la neige tomber par la fenêtre embuée. J’y ai souvent chassé. L’oie, surtout, mais aussi le canard. Merveilleux, le canard.
Il semblait vouloir faire la conversation : dans le rétroviseur, les yeux gris-bleu attendaient une réponse.
— Ma famille a une ferme là-bas, dit Nikki. Après chaque moisson, nous jetons des grains de maïs dans les champs. Les canards volent quasiment à l’intérieur de la ferme et se posent sur la table.
— Oui ! s’esclaffa le passager de Mond. Je préfère le goût des canards idiots.
Il ôta sa casquette et ses gants, les posa sur son giron. Il avait des cheveux courts, châtain clair comme la steppe morte qui défilait de l’autre côté des fenêtres. Sa peau couleur crème était tendue sur les bourrelets de graisse du cou. Nikki remarqua la petitesse des oreilles, du nez et de la bouche. Les yeux dominaient le visage comme deux lacs bleus autour desquels le reste des traits se rassemblait pour boire. Il clignait les yeux lentement, mais sa tête avait des mouvements vifs et saccadés qui rappelaient au caporal les chats-huants de la ferme familiale.
Nikki engagea la voiture sur une route pavée. Une svastika flottant au-dessus de l’aile avant gauche indiquait qu’il transportait un passager important. Nikki conduisait lentement, faufilant le véhicule entre des groupes de soldats à pied. Les hommes semblaient marcher sans but sous la neige. Certains étaient enveloppés dans des couvertures ; beaucoup avaient fourré des journaux sous leur casque et sous leur manteau et ressemblaient à des épouvantails.
Une charrette tirée par un cheval s’arrêta devant Nikki, qui dut faire halte. Les soldats marchant de chaque côté ne lui laissaient pas le passage. Il n’avait pas
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