La guerre des rats(1999)
mécontent. Il glissait des balles dans son chargeur en secouant la tête.
Griasev brandit un poing massif en direction de Tania.
— Ça, c’était une embuscade ! s’exclamat-il.
Il frotta ses grosses pattes l’une contre l’autre comme s’il s’apprêtait à attaquer son repas.
Tania baissa elle aussi son arme, gagna en rampant le fond de la pièce. Shaïkine fit de même. Slepkinian, Griasev et Fedya continuèrent à surveiller les positions allemandes.
— Qu’est-ce que t’en penses ? demanda Shaïkine à Tania.
— Je pense que nous allons les inscrire dans nos carnets. Trois chacun. Les deux derniers à Fedya et à la grosse vache.
— Maintenant, on attend les ordres, je suppose ?
Tania sortit de la pièce, s’assit dans le couloir pour mettre de l’ordre dans les pensées qui ricochaient dans sa tête. On nous a appris à faire preuve d’initiative, se dit-elle. À saisir l’occasion, à provoquer l’événement. À attendre le temps qu’il fallait puis à agir. C’est ce que nous avons fait. Nous avons attendu suffisamment longtemps. Toute la matinée. Dix-sept ennemis morts. Qu’est-ce que Zaïtsev peut vouloir de plus ?
Elle tourna la tête vers ses trois camarades qui gardaient l’œil rivé à leur lunette. Le soleil qui s’élevait au nord-est dessinait leurs ombres derrière eux sur le sol crasseux.
Des ombres… Ils avaient le soleil dans les yeux.
Tania dressa l’oreille en entendant un sifflement bas.
Non, pensa-t-elle. Non !
Le mur éclata. Avant qu’elle pût réagir, une boule de feu enrobée de fumée noire la projeta en arrière. Des briques volèrent en tous sens, portées par l’onde de choc. Tania retomba par terre, étourdie par l’explosion.
Quand elle ouvrit les yeux, la pièce était obscurcie par d’épais tourbillons de fumée. Un trou énorme perçait le mur.
Shaïkine gisait à côté d’elle, avec une vilaine plaie au menton.
Il se mit debout en titubant, plaqua les mains sur le mur comme s’il voulait l’escalader. Du sang coulait sur le devant de son manteau.
— Lève-toi ! cria-t-il à Tania. Vite !
Il lui saisit un bras et tira avec un grognement. Tania réussit à se mettre debout mais ses jambes se dérobèrent sous elle. Shaïkine la maintint contre le mur jusqu’à ce que ses muscles soient assez fermes pour la soutenir. Puis il la prit par les épaules, l’entraîna dans l’escalier.
— Non, murmura-t-elle en se retournant vers la pièce. Attends…
— Ils sont morts ! hurla-t-il à son oreille. Morts ! Viens !
Elle cessa de résister et se laissa conduire parmi les gravats.
Zaïtsev releva la couverture servant de porte, entra dans le quartier des lièvres.
Tania était assise seule dans un coin depuis trois heures. Shaïkine, titubant d’avoir perdu beaucoup de sang, était resté avec une infirmière qui les avait repérés sur le bord de la Volga.
Zaïtsev s’accroupit à côté de Tania, se pencha en avant sur les pointes de ses bottes, les yeux baissés.
— Qu’est-ce qui s’est passé ? demanda-t-il d’une voix plus douce que son visage.
Tania retenait ses larmes. Elle n’avait pas encore pleuré, elle ne voulait pas le faire devant lui. D’une voix blanche, elle lui raconta la matinée, les Allemands s’affairant dans les tranchées, derrière les bâtiments. Il aurait été si facile de les descendre, mais elle et les autres avaient attendu patiemment, pendant des heures. Et puis le peloton surgissant de nulle part au pas de gymnastique les avait surpris. Elle avait réagi rapidement, trop rapidement, peut-être.
En entendant ces derniers mots, Zaïtsev releva la tête. Dans son visage plat de Sibérien, ses yeux semblaient palpiter.
— Comment ça, t’as réagi trop rapidement ?
— Je…
Zaïtsev plissa les yeux, remua les mâchoires derrière ses lèvres serrées.
— J’ai tiré la première, J’ai donné l’ordre, reconnut-elle.
La gifle du sous-officier la fit tomber sur le côté.
— Debout ! aboya-t-il en se levant.
Elle obéit. Sa joue lui cuisait, mais elle ne la frotta pas. Elle se laissa aller contre le mur, les bras ballants.
— Camarade…
— Tais-toi.
Il approcha son visage à quelques centimètres de celui de Tania et beugla :
— Qu’est-ce que tu vas me dire, Résistante ? Que t’es désolée d’avoir désobéi aux ordres ? D’accord, camarade Tchernova. T’es pardonnée. Que tu regrettes d’avoir compromis une mission capitale ? Là encore, t’es
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