La guerre des rats(1999)
chargé un de nos tireurs d’élite de vous servir de guide. Y a-t-il quelque chose d’autre que je pourrais faire pour vous ?
Thorvald se tourna lentement puis désigna soudain Mond d’un vif mouvement de la tête.
— Cet homme est-il courageux ? demanda-t-il au lieutenant sans quitter le caporal des yeux.
Ostarhild eut un haussement d’épaules comme pour avouer qu’il ne comprenait pas le sens de la question.
— Oui, mon colonel. Très courageux. Et pas stupide.
— Il a combattu ? Il connaît le champ de bataille ?
Ostarhild tendit une main vers Nikki.
— Caporal, parlez au colonel de votre expérience…
— C’est à vous que je pose la question, lieutenant, rappela Thorvald d’une voix égale mais tranchante, les yeux toujours fixés sur Mond. Je ne veux pas l’entendre parler de son courage, je veux savoir ce que vous en pensez, vous. Un homme courageux ne dira jamais qu’il a du courage.
— Le caporal Mond a connu le pire de Stalingrad, répondit Ostarhild, s’adressant à la nuque du colonel. Et le pire de Stalingrad, c’est l’enfer, je peux vous l’assurer.
Un sourire apparut brusquement sur le visage de Thorvald, comme une fissure dans la glace.
— Bien, dit-il en se tournant vers Ostarhild. Je voudrais qu’il soit mon guide et mon observateur.
Le lieutenant se pencha en avant.
— Mon colonel, comme je viens de vous le dire, j’ai déjà désigné l’un de nos tireurs d’élite pour être votre observateur. Il connaît le champ de bataille aussi bien que le caporal et il a l’expérience des tireurs russes…
— Je ne veux justement pas d’un homme qui a l’expérience des tireurs russes. Je ne veux ni conseils ni ragots. Ce Zaïtsev s’est fait une spécialité d’observer les tireurs allemands. Je ne veux pas de quelqu’un qui me fera tuer. Je veux quelqu’un qui fera ce que je lui dirai. Votre caporal connaît le champ de bataille. Et je sais qu’il comprend la peur, je le vois dans ses yeux. Il sait ce qu’elle peut faire.
Ostarhild secoua la tête.
— Mon colonel, avec tout le respect que je vous dois, je pense qu’un de nos tireurs…
— Les tireurs embusqués sont des lâches, coupa Thorvald. Nous sommes tous des couards. Nous tuons sans combattre. Rappelez-vous, lieutenant, que j’ai appris à vos tireurs tout ce qu’ils savent. (Il se leva, se tourna vers Mond.) Avez-vous tué des hommes, caporal ?
Nikki acquiesça.
— Moi, je n’en ai pas tué un seul, dit Thorvald à Ostarhild. J’en ai abattu des centaines, mais je n’en ai pas tué un seul. Ils tombent à cinq cents mètres de moi quand je presse la détente, c’est tout. Je ne suis pas capable de faire comme lui, poursuivit-il en montrant Mond. Je ne sais pas combattre, je sais seulement tirer. Cela fait de moi un pleutre. Je le sais. Cet homme n’est pas un pleutre. Il m’accompagnera.
Ostarhild se leva lui aussi.
— Bien, mon colonel. Caporal, vous retrouverez le colonel à l’aube. Retournez dans vos quartiers prendre un peu de repos. Je vous verrai ici demain matin. Vous pouvez disposer.
Nikki salua les deux officiers, sortit dans le jour déclinant. La neige tombait moins dru ; elle cesserait probablement d’ici une heure.
Les bureaux d’Ostarhild se trouvaient au rez-de-chaussée de ce qu’il restait d’un grand magasin, séparé par un parc de la gare centrale et d’un hôtel de tourisme. À l’est du bâtiment, un escalier de béton, autrefois flanqué de statues et de fontaines, conduisait à une allée longeant le fleuve puis au principal débarcadère du ferry. Avant la guerre, des barques emmenaient les baigneurs sur les plages de sable des îles de la Volga. Boutiques, kiosques, siège du journal local, musée folklorique, hangars à bateaux, auditorium, marché en plein air, église : les vestiges fracassés de ces édifices entouraient Mond tels des squelettes géants tandis qu’il regagnait ses quartiers.
Cette ville a été dévastée par une guerre si violente qu’elle peut faucher une rangée de bâtiments comme un épi de blé, pensait-il. Maintenant cette guerre se ralentit, devient personnelle. Un homme, envoyé de Berlin, a pour mission de tuer un autre homme.
Cette guerre n’épargnera-t-elle personne ? se demanda-t-il. Commence-t-elle à nous traquer un par un ?
Nikki Mond était étendu sur son tapis de couchage. Il avait installé sa chambre au sous-sol d’une boulangerie dont le solide plancher avait résisté aux bombardements. Il
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