La guerre des rats(1999)
n’avons plus de secrets pour lui. Et nous lui jetterons une surprise à la figure.
Thorvald sourit, satisfait du plan qu’il venait de forger pour le jeune caporal. Après tout, Zaïtsev avait raison : les tireurs d’élite allemands étaient prévisibles. Thorvald le savait, il avait formé beaucoup de ceux que le Russe avait abattus. Il était sûr qu’ils s’étaient comportés comme du gibier à Stalingrad : des animaux bornés et prévisibles. Il l’avait vue dans leurs yeux pendant qu’il assurait leur instruction à Gnössen, cette confiance insouciante de la jeunesse nazie, de garçons régnant sur le monde avant même d’avoir tiré leur premier coup de feu. Aucun respect pour l’ennemi. Plus aucune considération pour le pouvoir de la peur. Ils s’étaient battus dans les rues avec des coups-de-poing en laiton et des bouteilles, ils considéraient ces bagarres de rues comme leur épreuve du feu. Ces jeunes tireurs partaient pour la guerre déjà sûrs de leur bravoure, convaincus que le monde s’ouvrirait devant leur courage comme une grille devant un mot de passe. « Montrez-moi simplement comment on fait », c’était la seule chose qu’ils demandaient de lui à l’école. « Le reste, je m’en charge, vieil homme. » Ils avaient oublié que l’arme de guerre la plus dévastatrice, ce ne sont ni les balles ni les bombes, mais la peur.
Hitler a chassé la peur du peuple allemand, songea Thorvald. C’est là son plus grand pouvoir. Il a presque réussi avec moi, il m’en a presque libéré.
— Et ce Zaïtsev, nous le traiterons comme un canard, fit-il d’un ton pensif tandis que Mond repliait sa carte. Nous nous cacherons dans un affût, nous le ferons s’envoler de frayeur et nous l’abattrons dans une explosion de plumes.
Thorvald regarda le caporal, qui obliqua vers le nord en direction de l’usine Lazur et du no man’s land.
— Je suis certain que nous réussirons à attirer Zaïtsev, déclara le colonel. (Mond hocha la tête.) La clef, c’est de lui faire savoir que je suis ici.
Le caporal changea d’expression, bredouilla :
— Comment… comment on peut faire ça, mon colonel ?
— Ne vous en faites pas. Je suis sûr que nous trouverons un moyen, vous et moi.
13
Tania leva les yeux de son carnet de tireur d’élite en entendant un bruit métallique. Une assiette en fer-blanc avait heurté le mur du bunker. Sidorov, jeune recrue qui n’avait rejoint l’unité que deux semaines plus tôt, l’avait jetée à la figure de Shaïkine.
Le ton monta entre les deux hommes. Tania fit aller son regard de l’un à l’autre : ils étaient prêts à se battre.
Zaïtsev et Koulikov intervinrent, Tchekov ne bougea pas. Koulikov saisit le bras de Shaïkine pour le tirer en arrière ; Zaïtsev s’interposa entre les deux visages rouges de colère.
— Fermez-la, tous les deux ! ordonna-t-il. (Il se tourna vers Shaïkine.) Ilya ! Qu’est-ce qui se passe ?
Shaïkine libéra son bras de la main de Koulikov, pointa un doigt sur Sidorov.
— J’en ai marre, de ce salaud ! Il se prend pour quelqu’un parce qu’il a tué soixante-dix Allemands. Il est là à se vanter, mais il a gonflé son tableau de chasse.
— T’es jaloux, oui, rétorqua Sidorov. Parce qu’il a tué que trente-six Boches, il s’en prend à moi. C’est à lui-même qu’il devrait s’en prendre.
Shaïkine ramassa son carnet de tireur d’élite par terre, le tendit au Lièvre.
— Tiens, regarde toi-même. Rien que des mitrailleurs, des observateurs, des tireurs d’élite ou des officiers. Que des cibles prioritaires ! (Il se tourna vers Sidorov.) Vas-y, la vedette ! Montre le tien (Il revint à Zaïtsev.) Tu sais ce qu’il fait ? Il dégomme des fantassins pendant l’attaque au lieu de viser les mitrailleurs ou les officiers. Il est censé protéger nos troupes, mais il pense qu’à faire du chiffre. C’est un danger, ce type !
Zaïtsev regarda Sidorov, lui demanda calmement :
— Alors ?
Les yeux du jeune soldat clignèrent de colère.
— C’est des mensonges ! Y a pas de mitrailleuses dans mon secteur, argua-t-il, tendant le bras pour indiquer le champ de bataille au-delà du mur de l’abri. J’ai descendu un mitrailleur la semaine dernière, ils l’ont pas remplacé. Ce connard est trop lent pour avoir soixante-dix macchabées à son palmarès, alors il m’en veut.
Zaïtsev rendit le carnet à Shaïkine sans même y jeter un coup d’œil.
— Va t’asseoir,
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