La guerre des rats(1999)
maintenant ce qu’il fallait faire pour rester en vie. Il ne voulait pas passer des jours à aider Tania à tuer son premier Boche comme chef de secteur.
Pendant une heure silencieuse, il observa les parapets des tranchées allemandes dans son périscope. Tania rampa à cinquante mètres de lui pour avoir un autre angle de vue. Les ombres se raccourcirent quand le soleil monta derrière eux. Les reflets de la neige se ternirent. Par deux fois, Zaïtsev repéra ce qui pouvait être un mouvement de tireur embusqué. Une volute de fumée de cigarette monta dans l’air et disparut rapidement, mais ce n’était peut-être que de la neige soulevée par le vent. Quelques moments plus tard, à proximité du même endroit, il crut apercevoir brièvement un casque au-dessus de la tranchée.
Zaïtsev avait l’habitude d’attendre, mais la présence de Tchernova l’incitait à prendre un rythme plus rapide. L’énergie et l’ardeur de Tania le détournaient de la discipline qu’il s’imposait, bien qu’elle n’eût formulé aucune demande directe et qu’elle n’eût pas même montré le moindre signe d’impatience. Elle rayonne de chaleur intérieure, pensa-t-il, comme un poêle ou le sommet du Mamayev Kourgan. Ça bouillonne autour d’elle.
Il posa le périscope et alluma une cigarette, enfreignant une règle essentielle du tireur d’élite. Il se sentait agacé, tendu.
Bon, il y a quelque chose que j’ai envie d’essayer depuis un moment. Pourquoi pas ce matin ? raisonna-t-il.
Il passa son fusil à l’épaule, rampa jusqu’à l’endroit où Tania était accroupie sous son périscope. Elle ne détourna pas la tête de l’appareil quand il approcha.
— Tu fumes, remarqua-t-elle.
— Reste ici. Je vais chercher Danilov.
Cette fois, elle tourna vivement la tête.
— Hein ? Pour quoi faire ? Il ne vaut rien, ici. Laisse-le tranquille.
— J’ai un plan. Bouge pas. Et tu tires sur rien, hein ? lui enjoignit-il en agitant un doigt. Compris ?
— Tu l’installes ici.
Zaïtsev empila d’autres briques sur les deux tas qu’il avait élevés au-dessus de la tranchée. Il s’écarta pour permettre à Danilov de placer le haut-parleur derrière le tas de gauche. Le commissaire laissa le pavillon dépasser de quelques centimètres à droite et le dirigea vers les lignes allemandes. Puis il déroula le fil reliant le haut-parleur au micro, s’assit lourdement par terre et appuya deux fois sur le bouton du micro. Le haut-parleur émit un son métallique.
— Attends, fit Zaïtsev, levant un main. Attends mon signal, comme on a dit.
À quatre pattes, il rejoignit Tania, qui avait posé fusil et périscope en travers de ses jambes.
— Alors ? demanda-t-elle.
Il examina rapidement son visage. Elle avait les joues rougies par le froid et le périscope avait imprimé un cercle autour de son œil droit. Ses lèvres ne souriaient pas mais gardaient un pli amer, boudeur, vestige de la question en un mot qu’elle lui avait adressée : alors ?
Il attendit, conscient de l’effet qu’elle avait sur lui. Ce mélange de beauté et de volonté. Il l’avait laissée une heure et demie pour aller chercher Danilov à l’usine Lazur. Tout ce temps sans rien d’autre à faire qu’inspecter la pente. La chaleur du poêle a monté pendant que j’étais parti, devina-t-il.
— Tu fais juste ce que je te dis, Résistante, murmura-t-il en jetant un coup d’œil derrière lui à Danilov. Notre petit commissaire connaît son boulot, tu sais. Et son boulot, c’est l’agitation. Dans une minute, il va empoigner son gueulophone et lire en allemand des tracts très méchants que ses collègues zampolit ont préparés. Son allemand doit pas être fameux, mais probablement assez bon pour faire bouillir de rage tous les Boches à portée de voix. Peut-être juste à cause de sa mauvaise prononciation, va savoir…
Zaïtsev sourit de sa plaisanterie. Les coins de la bouche de Tania se relevèrent ; une petite vague bleue se brisa dans ses yeux.
— J’ai dans l’idée qu’on va se retrouver au casse-pipe dès qu’il aura branché l’appareil. Tu te postes à vingt mètres sur la gauche, moi je reste près de Danilov. Si c’est des tireurs embusqués, ils canarderont sûrement dans ma direction. Je serai prêt. J’ai un petit truc à essayer. S’il y a autre chose, des mitrailleurs, par exemple, c’est toi qui les repéreras en premier. Dès que tu peux tirer, vas-y. On bouge une minute après le premier
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