La guerre des rats(1999)
camps utilisaient, généralement en les lâchant par avion au-dessus du champ de bataille. On en voyait souvent emportés par le vent, filant sur le sol entre les deux armées comme s’ils couraient se mettre à l’abri.
Zaïtsev leva la tête de sa lunette. La pente semblait sans vie ; les mots crachés par Danilov planaient au-dessus d’elle comme des buses électriques. Aucun mouvement, mais le Lièvre savait que, de tous côtés autour de lui, les cuvettes et les fentes cachaient des soldats et des armes, aussi bien allemands que russes. Il avait appris à ne jamais se laisser abuser par le calme de Stalingrad.
Il ramena son œil devant l’oculaire de la lunette et, après quelques minutes d’inspection, repéra le canon à peine visible d’une mitrailleuse nazie à trois cent cinquante mètres de lui. Elle n’avait pas se servants, mais cela ne voulait rien dire. Ce pouvait être une arme enrayée, abandonnée, ou un leurre en bois. Ou encore un engin en parfait état de marche dont les servants se terraient dans une tranchée tandis qu’un guetteur camouflé observait l’ennemi. Rien ici n’est ce qu’il semble être, pensa Zaïtsev. La douceur de la neige enrobe un sol accidenté ; le silence, apparemment aveugle, a une centaine d’yeux. La voix de Danilov semble sortir d’une forme humaine qui est en réalité un mannequin.
Soudain, Zaïtsev entendit des balles s’enfoncer dans la terre ou claquer sur les briques autour du haut-parleur. Le crépitement d’une mitrailleuse passa au-dessus de lui. Danilov cessa de brailler. Zaïtsev se tourna vivement vers le commissaire, qui se recroquevillait au fond de la tranchée. Il avait lâché le micro pour protéger sa tête à deux mains des éclats de brique et de la terre tombant sur lui tandis que le mitrailleur allemand criblait le haut-parleur. Piotr, au cœur de l’action, demeurait indemne derrière ses briques.
Zaïtsev braqua sa lunette vers la gauche. La mitrailleuse qu’il avait repérée un moment plus tôt restait silencieuse. Les balles tirées sur le haut-parleur devaient provenir de la droite, en dehors de sa zone de chasse. Avant qu’il puisse extirper son fusil de sa meurtrière de fortune, il entendit Tania tirer.
La mitrailleuse se tut.
Bien. Elle l’a eu, le salaud. Une minute.
Il regarda sa montre.
Une autre mitrailleuse crépita, visant non le haut-parleur mais un point situé sur sa gauche. Tania ! Ils l’ont repérée.
Zaïtsev colla l’œil à sa lunette, trouva la mitrailleuse sans servants. Une tête et des mains étaient apparues derrière l’arme, qui arrosait maintenant la position de Tania. Un autre Allemand, jumelles aux yeux, se tenait près du mitrailleur.
Le Lièvre vida lentement l’air de ses poumons pour chasser de sa tête les battements de son cœur. Il regarda le mitrailleur opérer pour laisser la cible capturer toute son attention, lui faire oublier le reste. Laisse-le attirer la balle. Rien ne presse. Vise bien. Un seul coup. Une seule pression.
La crosse du fusil lui heurta l’épaule sans qu’il s’y attende. C’était ainsi qu’il réussissait ses meilleurs tirs : sans se dire « maintenant », mais en envoyant la balle dans la cible par la pensée, en pressant la détente instinctivement, se surprenant un peu lui-même.
Dans sa lunette, le casque du mitrailleur bascula en arrière quand l’homme tomba. Une de ses mains resta prise dans la poignée. Sous le poids du nazi mort, l’arme dressa son canon, continua à tirer ses balles en l’air. Le guetteur desserra les doigts du cadavre, disparut sous le parapet de la tranchée.
Zaïtsev prit son périscope et son sac, courut jusqu’à l’endroit où Danilov époussetait de la main les éclats de brique rouge et la neige sale tombés sur ses épaules. Tania les rejoignit, fusil et matériel à la main, prête à partir.
— Bon travail, dit Zaïtsev en s’agenouillant près du commissaire.
Danilov sourit, ramassa ses tracts éparpillés, récupéra le micro entre ses jambes.
— Ça a marché, poursuivit le Sibérien, mais il faut sortir d’ici, maintenant.
— Maintenant ? Je n’ai pas fini.
Le sourire de Danilov se crispa, se tendit comme une corde sur laquelle on tire. Il appuya sur le bouton du micro.
— J’ai encore un mot à vous dire, sale putes ! cria-t-il en russe.
Sa voix ressortit avec un grésillement du pavillon transpercé. Zaïtsev était sidéré que l’appareil fonctionne encore.
— Non, c’est
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