La guerre des rats(1999)
expliquer. C’était peut-être une équipe de tireurs qui se relayaient pour canarder.
Une autre balle secoua Piotr, traversa le cou du mannequin, coupa la lanière de cuir. Le casque tomba, éparpillant sur le sol de la tranchée les quatre projectiles. Zaïtsev ne vit rien dans son périscope : pas de reflet métallique d’un canon de fusil, pas de fumée de cigarette, pas de tête dépassant d’un trou. Aucun mouvement sur la toile de fond glacée ne révéla les secrets de la colline blanche.
Merde, grommela intérieurement le Lièvre. Où il est ? Il doit être tout près. J’ai dû le manquer en passant sur lui. Sur eux.
C’est ridicule, pensa-t-il. Il se pencha, arracha du sol le tuyau soutenant Piotr. Le mannequin tomba sur les genoux de Zaïtsev. La bourre vomie par les trous dessinaient deux yeux, un nez et une petite bouche ronde d’étonnement.
Le Sibérien se baissa pour ramasser les quatre balles écrasées, les soupesa au creux de sa main. Tania le rejoignit, le tira par le bras.
— Viens, Vasha, partons. Il y a un dingue, là-haut.
Il ne bougea pas, continuant à fixer les morceaux de métal. Au fond de lui, il entrevit en un éclair les yeux gris de la peur luisant dans l’ombre.
Il ferma le poing sur les balles quand Tania le secoua de nouveau.
— Vasha, partons. Nous sommes dans le réticule d’un tireur allemand. Un tireur drôlement bon.
Le Lièvre leva les yeux, voulut s’humecter les lèvres. Il avait la bouche sèche.
15
Nikki Mond était arrivé à l’aube dans l’antichambre des bureaux d’Ostarhild. Le colonel apparut, nonchalant, un peu après neuf heures, rassura le caporal :
— Rien ne presse. Le soleil ne passera dans notre dos que bien après midi. Buvez donc une tasse de faux café.
Nikki conduisit d’abord Thorvald à la cote 102,8, la colline d’où les guetteurs découvraient tout le champ de bataille : les usines au nord, le centre-ville au sud, et les îles du fleuve.
Toute la matinée Mond porta le fusil et le sac du colonel, bourré de nourriture. Cela ne le dérangeait pas : Thorvald partageait généreusement ses réserves en assurant qu’il ne resterait pas assez longtemps à Stalingrad pour manger la moitié de ce qu’il avait apporté.
Après avoir sillonné pendant plus d’une heure un réseau de tranchées s’étirant sous la crête du Mamayev Kourgan, Thorvald s’arrêta, examina la pente. Nikki fit halte derrière lui. Tout en bas, un haut-parleur russe s’était mis en marche, déversant un bredouillis métallique irritant. Dans un allemand à l’accent russe si prononcé que les mots étaient presque insaisissables.
— Vous comprenez ce qu’il dit ? demanda le colonel.
— À peine.
— Oooh, le mauvais allemand, fit Thorvald en secouant la tête.
Le Russe ne semblait pas avoir conscience de ses insuffisances linguistiques et braillait avec conviction dans le microphone. L’horrible bruit montant à l’assaut de la colline avait plus de chance de donner la migraine aux soldats allemands que de provoquer leur colère.
Nikki commençait à apprécier le colonel Thorvald. L’homme avait le sens de l’humour, denrée épuisée à Stalingrad. Il était propre, pas encore infesté de poux. Il distribuait volontiers le fromage et le pain qu’il avait apportés de Berlin. Nikki aimait sa volubilité, sa confiance. Il n’avait pas insisté pour que Nikki emporte lui aussi son fusil, et bien qu’il ne l’eût pas encore vu tirer, le caporal soupçonnait Thorvald d’être ce qu’il disait : le meilleur.
Accroupi dans la tranchée à côté du colonel, Mond admirait la parka et le pantalon blancs de l’officier. Le vêtement semblait se fondre dans la neige recouvrant le sol. De loin, il doit être quasiment invisible, se dit Nikki, jetant un coup d’œil à son propre manteau vert-de-gris.
Il avait déjà entendu les agitateurs russes, au moins une fois par semaine pendant les combats d’une maison à l’autre de septembre et octobre. Ses camarades et lui avaient ricané de cette propagande. L’armée allemande était alors certaine de sa puissance, convaincue que les rouges n’avaient aucune chance de tenir. « Ils couinent comme des souris prises au piège, tout simplement », avaient dit les gars.
Maintenant, c’était différent. Le message ne faisait plus rire. Le mieux, c’était de l’ignorer.
« Soldats allemands, on vous a menti ! clamait le haut-parleur. La Russie est pacifiste. Rejoignez-nous,
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