La jeune fille à la perle
porte derrière moi. Ces temps derniers, Catharina n’éprouvait
guère le désir de monter à l’atelier, mais je me demandais ce que Maria Thins,
Cornelia ou quiconque penserait en nous voyant. En me retournant, je gardais
les yeux rivés sur ses chaussures, elles reluisaient après mes coups de brosse
de la veille.
Il se leva enfin, dégagea sa
tête de la robe, laissant apparaître ses cheveux ébouriffés. « Tenez,
Griet, c’est prêt. Allez-y, regardez. » Il recula et me fit signe
d’approcher. Je restai clouée sur place.
« Monsieur…
— Couvrez-vous la tête
avec la robe, comme je vous l’ai montré, l’image sera plus nette. Et
regardez-la sous cet angle afin qu’elle ne soit pas inversée. »
Je ne savais que faire. Je crus
défaillir à l’idée de me retrouver enfouie sous sa robe, comme aveuglée, que
lui serait là à m’observer. Mais il était mon maître. Je lui devais obéissance.
Je gardai le silence et
m’approchai de la boîte, là où le couvercle avait été soulevé. Je me penchai
pour regarder la plaque de verre laiteux fixée à l’intérieur. Un dessin très
flou s’y reflétait.
Il arrangea doucement sa robe
sur ma tête de façon à empêcher toute lumière de passer. Encore toute chaude de
lui, la robe avait une odeur de brique longtemps exposée au soleil. Je
m’appuyai à la table pour me stabiliser et fermai les yeux un instant. J’avais
l’impression d’avoir bu trop vite la chope de bière que je prenais le soir
avant de me coucher.
« Que voyez-vous ? »
l’entendis-je me demander.
J’ouvris les yeux et je vis le
tableau sans la femme.
« Oh ! » Je me
redressai si vivement que la robe tomba par terre. Je reculai, piétinant
l’étoffe.
Je retirai mon pied.
« Pardon, Monsieur, je laverai votre robe ce matin.
— Peu importe la robe,
Griet. Qu’avez-vous vu ? »
Ma gorge se serra. Je ne savais
plus du tout où j’en étais, j’avais un peu peur. L’intérieur de la boîte était
comme un piège du diable ou je ne sais quelle invention catholique à laquelle
je ne comprenais rien. « J’ai vu le tableau, Monsieur, sauf qu’on n’y voit
pas la femme, qu’il est plus petit et que les objets sont… renversés.
— Oui, l’image est
projetée à l’envers, droite et gauche y sont également inversées. Il existe des
miroirs capables de corriger cela. »
Je ne comprenais pas ce qu’il
disait. « Mais…
— Qu’y a-t-il ?
— Je ne comprends pas,
Monsieur. Comment est-ce entré là-dedans ? »
Il ramassa la robe, l’épousseta
du revers de la main, il souriait. Lorsqu’il souriait, son visage rappelait une
fenêtre grande ouverte.
« Voyez-vous
ceci ? » Il pointait le doigt vers l’objet circulaire à l’extrémité
de la plus petite boîte. « On appelle ça un objectif. C’est un morceau de
verre taillé d’une certaine façon. Lorsque la lumière provenant de ce décor…
dit-il en pointant le doigt vers l’angle de la pièce, le traverse et pénètre
dans la boîte, elle projette l’image que nous voyons ici. » Il tapota sur
le verre laiteux.
Désireuse de comprendre, je le
regardai avec une telle intensité que mes yeux s’embuèrent.
« Qu’est-ce qu’une image,
Monsieur ? Ce n’est pas un mot que je connais. »
Quelque chose changea dans son
visage comme si, au lieu de regarder par-dessus mon épaule, c’était moi qu’il
regardait. « C’est un tableau, une peinture si vous voulez. »
Je hochai la tête. Je voulais
avant tout qu’il ait l’impression que je suivais ses explications.
« Vous avez de très grands
yeux », me dit-il soudain.
Je rougis. « C’est ce
qu’on m’a dit, Monsieur.
— Aimeriez-vous regarder à
nouveau ? »
Je n’y tenais pas, mais je
n’osais le lui dire. Je réfléchis un instant. « Je regarderai encore une
fois, Monsieur, mais à condition que vous me laissiez seule. »
Il parut étonné, puis amusé.
« Très bien », dit-il. Il me tendit la robe. « Je serai de
retour d’ici quelques minutes et je frapperai avant d’entrer. »
Il me vint à l’esprit de
feindre de regarder, mais il aurait tôt fait de s’apercevoir de la tricherie.
En outre, j’étais curieuse. Il
m’apparut plus facile d’envisager de regarder à nouveau s’il ne m’observait
pas. Je respirai bien à fond puis je regardai dans la boîte. Je vis sur la
plaque de verre une timide esquisse du décor dans l’angle. Tandis que je me
couvrais la
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