La Jolie Fille de Perth (Le Jour de Saint-Valentin)
prudentes considérations ; cependant le marchand de bonnets essaya de traverser la rue. Mais la bande joyeuse était éclairée par des torches dont la lumière découvrit Olivier ; son habit, d’une couleur claire se voyait de fort loin. Il s’éleva un cri général : – Une prise ! une prise ! s’écria-t-on de toutes parts. Ce bruit couvrit celui de la musique, et avant que le bonnetier eût le temps de se décider à rester ou à fuir, deux jeunes gens robustes, vêtus d’habits bizarres avec des masques de sauvages, et portant dans la main une énorme massue, le saisirent en s’écriant d’un ton tragique : – Rends-toi, homme aux sonnettes, rends-toi sans te défendre, ou tu es un danseur mort.
– À qui dois-je me rendre ? dit le bonnetier d’une voix tremblante ; car quoiqu’il vît qu’il avait affaire à des masques qui parcouraient la ville pour leur plaisir, cependant il avait remarqué qu’ils étaient fort au-dessus de sa classe, et il ne trouvait point d’audace pour partager un jeu où l’inférieur serait sans doute sacrifié.
– Voudrais-tu parlementer, esclave ? répondit un des masques, et faut-il que je te montre que tu es notre captif en te faisant donner à l’instant la bastonnade ?
– En aucune manière, puissant Indien, dit le bonnetier ; je ferai tout ce que vous désirerez.
– Viens ici alors, dit un de ceux qui l’avaient arrêté ; viens et rends hommage à l’empereur des Mimes, roi des Cabrioles et grand-duc des Sombres-Heures ; expliquez en vertu de quels droits vous êtes assez hardi pour chanter et danser, et porter des souliers de peau dans ses domaines, sans lui payer de tribut. Ne savez-vous pas que vous avez encouru la peine de haute trahison ?
– Ce serait bien dur, je pense, répondit le pauvre Olivier, puisque je ne savais pas que Sa Grâce eût ce soir les rênes du gouvernement ; mais je suis prêt à racheter ce délit, si la bourse d’un pauvre fabricant de bonnets le peut, en payant l’amende de quelques pintes de vin ou autre chose semblable.
– Conduisez-le devant l’empereur, fut la réponse universelle. Le danseur moresque fut amené devant un jeune homme mince, mais plein d’aisance et de grâce ; il était magnifiquement vêtu, ayant une ceinture et une tiare de plumes de paon, qu’à cette époque on apportait des Indes comme de rares merveilles. Une courte jaquette posée sur une peau de léopard serrait sa taille ; le reste de sa personne était couvert d’une étoffe de soie couleur de chair, et donnait une idée exacte d’un prince indien ; il portait des sandales attachées avec des rubans écarlates, et tenait à la main une espèce d’éventail comme celui dont les dames se servaient alors, et qui était composé des mêmes plumes de paon réunies en aigrette.
– Quel personnage m’amenez-vous ici ? dit le chef indien ; qui a osé attacher les sonnettes d’un danseur moresque à un âne aussi triste que celui-là ? Écoutez ici, l’ami ; votre habit vous rend un de nos sujets, puisque notre empire s’étend dans tout le monde joyeux, y compris les Mimes et les Ménestrels de tout genre. Eh quoi ! tu ne sais pas répondre ? Il a besoin de boire ; administrez-lui notre coque de noix pleine de vin d’Espagne.
Une immense calebasse remplie de vin fut présentée aux lèvres du suppliant, tandis que le prince et sa suite l’exhortaient à boire.
– Casse-moi cette noisette, et fais-le avec grâce et sans grimace, dit le chef.
Olivier n’aurait pas dédaigné de boire modérément du même vin, mais il était épouvanté de la quantité qu’on exigeait qu’il avalât. Il but un coup, et demanda grâce.
– Plaise à Votre Seigneurie, dit-il, j’ai encore beaucoup de chemin à parcourir, et si j’étais obligé de faire complètement honneur à votre générosité pour laquelle je vous prie d’accepter mes remerciemens, je ne serais pas capable, d’enjamber un ruisseau.
– Voyons si tu es capable au moins de te comporter comme un gaillard. Fais-moi une cabriole. Ah ! une, deux, trois. Admirable ! Encore. Donnez-lui de l’éperon. (Alors un satellite du chef indien toucha légèrement Olivier avec son épée.) Ah ! cette cabriole, vaut mieux que toutes les autres ; il saute comme un chat dans une gouttière ! Présentez-lui encore la coque de noix. Allons, plus de violence ; il a payé pour son forfait, et mérite non-seulement sa liberté, mais une récompense.
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