La lance de Saint Georges
Northampton, quittant l’entourage du prince,
rejoignit John Armstrong à la tête de ses archers et désigna les murs de la
ville.
— Quelle place forte ! dit le comte
chaleureusement.
— Formidable, monseigneur, grogna Armstrong.
— L’île porte ton nom, dit le comte d’un ton
désinvolte.
— Mon nom ? demanda Armstrong soupçonneux.
— C’est l’île Saint-Jean, dit le comte.
Puis il désigna la plus proche des deux abbayes, un grand
monastère entouré de ses propres remparts qui rejoignaient ceux de la ville.
— L’abbaye aux Hommes, dit le comte. Sais-tu ce qui est
arrivé quand on y a enterré Guillaume le Conquérant ? Ils l’ont laissé
trop longtemps dans l’abbaye et lorsque le moment est venu de le mettre dans
son tombeau, il était enflé et pourri. Son corps empuantissait tout et on pense
que la puanteur a chassé toute la congrégation de l’abbaye.
— Vengeance du ciel, monseigneur, dit Armstrong d’un
air stoïque.
Le comte lui jeta un regard inquisiteur.
— Peut-être, dit-il d’un air incertain.
— On n’aime pas Guillaume dans les régions du Nord, dit
Armstrong.
— C’était il y a longtemps, John.
— Pas assez longtemps pour que je n’aille pas cracher
sur sa tombe, déclara Armstrong. C’était peut-être notre roi, monseigneur, mais
il n’était pas anglais.
— Oui, je suppose qu’il ne l’était pas, admit le comte.
— C’est le moment de la revanche, dit Armstrong
suffisamment fort pour que les premiers archers l’entendent. Nous allons le
prendre, nous allons prendre sa ville et nous allons prendre aussi ses
femmes !
Les archers l’acclamèrent. Mais Thomas ne voyait pas comment
l’armée pourrait prendre Caen. Les murs étaient immenses et bien défendus par des
tours, et les remparts étaient remplis de défenseurs qui paraissaient aussi
confiants que les assaillants. Il chercha la bannière avec trois faucons d’or
sur champ d’azur, mais il y avait tant de fanions et le vent les agitait si
vivement qu’il ne put distinguer les armes de messire Guillaume d’Evecque parmi
les pièces de tissu aux couleurs chatoyantes qui battaient sous les créneaux.
— Et toi, Thomas, qu’est-ce que tu es, anglais ou
normand ? demanda en français le comte qui était venu chevaucher aux côtés
de Thomas.
Sa monture était un grand destrier, ce qui faisait que, bien
qu’il fût beaucoup plus petit que Thomas, il le dominait.
— Anglais, monseigneur, eu égard à mon postérieur
douloureux.
Cela faisait si longtemps qu’il n’était pas monté à cheval qu’il
avait les cuisses à vif.
— Nous sommes tous des Anglais à présent, n’est-ce
pas ? remarqua le comte qui paraissait légèrement surpris.
— Aimeriez-vous être autre chose ? demanda Thomas
en jetant un regard circulaire sur les archers. Pour rien au monde,
monseigneur, je ne voudrais avoir à les affronter.
— Moi non plus, et je t’ai épargné un affrontement avec
sir Simon. Ou plutôt j’ai épargné ta misérable vie. Je lui ai parlé, hier soir.
On ne peut pas dire qu’il ait été vraiment désireux de t’éviter le nœud
coulant, et je ne l’en blâme pas…
Le comte chassa un taon.
— Mais finalement sa cupidité l’a emporté sur la haine
qu’il te voue. Tu m’as coûté ma part sur les deux bateaux de la comtesse, jeune
Thomas. Un bateau pour l’écuyer et l’autre pour le trou que tu lui as fait dans
la jambe.
— Je vous remercie, monseigneur, dit avec émotion
Thomas qui se sentait envahi par un grand soulagement, je vous remercie.
— Ainsi tu es un homme libre. Sir Simon m’a serré la
main pour sceller l’accord, un clerc l’a enregistré et un prêtre en a été
témoin. Et maintenant, au nom du ciel, abstiens-toi de tuer un autre de ses
hommes.
— Je ne le ferai pas, promit Thomas.
— Et tu es en dette envers moi.
— Je le sais, monseigneur.
Le comte eut un geste vague suggérant qu’il était peu
probable que Thomas pût jamais rembourser pareille créance, puis il lui jeta un
regard inquisiteur.
— À propos de la comtesse, continua-t-il, tu ne m’as
jamais dit que c’était toi qui l’avais emmenée au nord.
— Ça ne me paraissait pas très important, monseigneur.
— Hier soir, continua le comte, après avoir affronté
Jekyll pour toi, j’ai rencontré la comtesse dans les quartiers du prince. Elle
prétend que tu t’es montré parfaitement chevaleresque, que tu l’as traitée
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