La lance de Saint Georges
avec
discrétion et respect. Est-ce bien vrai ?
— Si elle le dit, monseigneur, c’est que ça doit être
vrai, répondit Thomas en rougissant.
Le comte se mit à rire avant d’éperonner son destrier.
— J’ai racheté ton âme, dit-il chaleureusement, alors
bats-toi bien pour moi !
Et il tourna bride pour rejoindre ses hommes d’armes.
— Il est parfait, notre Billy, dit un archer en
désignant le comte, il est bien.
— Si seulement ils étaient tous comme lui, convint
Thomas.
— Comment en es-tu venu à parler français ?
demanda l’archer d’un air soupçonneux.
— Ça m’est venu en Bretagne, répondit Thomas en restant
dans le vague.
L’avant-garde avait atteint l’espace dégagé devant les murs.
Un carreau vint se planter dans l’herbe en guise d’avertissement. Ceux qui
accompagnaient l’armée et qui avaient servi à donner l’illusion d’une force
gigantesque étaient à présent occupés à planter des tentes sur les collines au
nord de la ville, tandis que les combattants se répandaient dans la plaine
autour de la cité. Les maréchaux galopaient d’une unité à l’autre en criant que
les hommes du prince devaient aller directement devant les murs de l’abbaye aux
Dames, à l’autre bout de la ville. Il était encore tôt, c’était à peu près le
milieu de la matinée et le vent apportait les odeurs de cuisine des foyers de
Caen aux hommes du comte qui passaient devant des fermes désertées. Le château
s’élevait au-dessus d’eux.
Ils se dirigèrent vers l’extrémité ouest de la ville. Le
prince de Galles, monté sur un grand cheval noir et suivi par un porte-étendard
ainsi que par une troupe d’hommes d’armes, galopait vers le couvent qui, situé
hors les murs, avait été abandonné. Il y résiderait pendant la durée du siège.
Thomas, mettant pied à terre là où devait être le campement des hommes
d’Armstrong, aperçut Jeannette qui suivait le prince. « Comme une petite
chienne », pensa-t-il avec amertume. Puis il se reprocha sa jalousie.
Pourquoi être jaloux d’un prince ? Autant en vouloir au soleil ou insulter
l’océan. Il existe d’autres femmes, se dit-il en conduisant son cheval vers
l’une des pâtures de l’abbaye.
Un groupe d’archers explorait les bâtiments vides situés à
proximité du couvent. Pour la plupart, il s’agissait de petites maisons, mais
l’une d’elles avait abrité l’atelier d’un charpentier et était pleine de
copeaux et de sciure. Un peu plus loin se trouvait une tannerie, qui sentait
encore l’urine, la chaux et le fumier utilisés pour traiter le cuir. Après la
tannerie, il n’y avait plus rien qu’une étendue de chardons et d’orties qui
allait jusqu’au mur de la ville. Thomas s’aperçut que des archers
s’aventuraient parmi les herbes folles pour aller observer les remparts. La
journée était si chaude que l’air paraissait trembler devant les murs. Un petit
vent du nord poussait quelques nuages en altitude et faisait osciller les
hautes herbes qui poussaient dans le fossé, au pied des contreforts. Il y avait
désormais une centaine d’archers sur ce vaste terrain en friche et certains se
trouvaient à portée d’arbalète, pourtant les Français ne les prenaient pas pour
cible. Un groupe d’archers tenaient des haches dans l’intention de couper du
bois mais une curiosité morbide les avait attirés du côté des remparts plutôt
que vers la forêt. Thomas les suivit, désireux de découvrir par lui-même les
horreurs que devraient affronter les assaillants. Un bruit grinçant d’essieux
non graissés le fit se retourner. Deux chars de ferme étaient tirés vers
l’abbaye. Tous deux transportaient des bombardes, de grosses choses ventrues
avec une gueule béante. Il se demanda si ces instruments magiques pourraient
faire un trou dans les remparts, mais même s’ils y parvenaient, il faudrait
toujours se battre pour pénétrer dans la brèche. Il fit un signe de croix.
Peut-être trouverait-il une femme à l’intérieur de la ville ? Il possédait
presque tout ce dont un homme avait besoin. Il avait un cheval, une jaquette,
un arc et un sac de flèches. Il ne lui manquait qu’une femme.
Et cependant il ne voyait pas comment une armée, fut-elle
deux fois plus grande, pourrait franchir les grands murs de Caen. Ils
s’élevaient au-dessus de leur fossé boueux comme des falaises et tous les
cinquante pas il y avait un bastion à toit conique qui permettrait
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