La lance de Saint Georges
Germain qui,
au moment où messire Guillaume arrivait, revenait à peine de son bref exil.
Le moine était très vieux et courbé, un petit bout d’homme
avec des cheveux blancs, des yeux myopes et des mains délicates qui étaient en
train de tailler une plume d’oie.
— Les Anglais, dit le vieillard, se servent de ces
plumes pour leurs flèches. Nous, nous les utilisons pour transcrire les paroles
de Dieu.
On expliqua à Thomas que frère Germain travaillait au
scriptorium du monastère depuis plus de trente ans.
— Pendant que l’on copie des livres, expliqua le moine,
on découvre le savoir, qu’on le veuille ou non. Bien entendu, la plus grande
partie en est inutile. Comment va Mordecaï ? A-t-il survécu ?
— Il a survécu, dit messire Guillaume, et il vous
envoie ceci.
Il déposa sur la surface en pente de l’écritoire un pot en
argile fermé par un bouchon de cire. Le pot glissa jusqu’à ce que frère Germain
l’arrête et le place dans une poche.
— C’est un baume, expliqua messire Guillaume à Thomas,
pour les articulations de frère Germain.
— Qui me font souffrir, dit le moine, et seul Mordecaï
peut apaiser la douleur. Il est triste de penser qu’il va brûler en enfer, mais
je suis sûr qu’au paradis je n’aurai plus besoin de pommade. Qui est ce jeune
homme ?
— Un ami, dit messire Guillaume, qui m’a apporté ceci.
Il tenait l’arc de Thomas qu’il posa sur le bureau, et il
tapota sur la plaque d’argent. Frère Germain se pencha pour examiner l’écusson.
Thomas l’entendit reprendre sa respiration.
— L’éalé, dit frère Germain.
Il écarta l’arc puis chassa les débris de plume en soufflant
dessus.
— Cette bête a été introduite dans l’héraldique au
siècle dernier. Évidemment, en ce temps, il y avait une véritable instruction
de par le monde. Pas comme aujourd’hui. Il m’arrive des jeunes gens de Paris
dont la tête est farcie de laine, et pourtant ils prétendent avoir un doctorat.
Il prit un bout de parchemin sur une étagère, l’étala sur le
bureau et trempa sa plume dans une bouteille d’encre vermillon. Après en avoir
laissé tomber une goutte luisante sur le parchemin, il étira l’encre en gestes
rapides. Il paraissait faire à peine attention à ses mouvements et pourtant
Thomas eut la surprise de voir une éalé prendre forme sur le parchemin.
— On dit que c’est un animal mythologique, dit-il en
dessinant une défense d’un trait de plume, et c’en est peut-être un. La plupart
des bêtes de l’héraldique semblent bien être des inventions. Qui a jamais vu
une licorne ?
Il déposa une autre goutte d’encre sur le parchemin,
attendit un instant et commença à tracer les pattes levées de la bête.
— Cependant, il semblerait qu’on trouve l’éalé en
Éthiopie. Je ne peux l’affirmer, n’ayant jamais dépassé Rouen. Et je n’ai
jamais rencontré de voyageurs qui y soient allés, à supposer même que
l’Éthiopie existe. Toutefois, l’éalé est mentionnée par Pline, ce qui suggère
qu’elle était connue des Romains, mais Dieu sait que les Romains étaient un
peuple crédule. On dit que l’animal possède à la fois des cornes et des
défenses, ce qui paraît extravagant, et on la décrit généralement avec un
pelage argent ocellé de jaune. Hélas, nos pigments nous ont été volés par les
Anglais, ils ne nous ont laissé que le vermillon, ce qui, je suppose, est
gentil de leur part. Il vient du cinabre, d’après ce qu’on m’a dit. Est-ce une
plante ? Frère Jacques, que Dieu ait son âme, prétendait toujours qu’elle
pousse en Terre Sainte, et c’est peut-être le cas après tout. Est-ce que vous
boitez, messire Guillaume ?
— Une crapule d’archer anglais m’a mis une flèche dans
la jambe. Je prie tous les jours pour que son âme rôtisse en enfer.
— Vous devriez plutôt remercier le ciel qu’il ait été
imprécis. Pourquoi m’avez-vous apporté un arc anglais décoré d’une éalé ?
— Parce que j’ai pensé que cela vous intéresserait, et
parce que mon jeune ami que voici, dit-il en touchant l’épaule de Thomas, s’intéresse
aux Vexille.
— Il ferait mieux de les oublier, grommela frère
Germain.
Perché sur sa haute chaise, il parcourut du regard la pièce
où une douzaine de jeunes moines remédiaient au désordre laissé par les
occupants anglais. Certains bavardaient tout en travaillant, ce qui provoqua un
froncement de sourcils de
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