La lance de Saint Georges
l’abbaye où se trouvaient les tombeaux des rois de France.
Chacun savait que quand l’oriflamme était déployée, on ne faisait pas de
quartier. On disait que Charlemagne en personne avait porté cette enseigne en
soie rouge comme le sang qui promettait mort et carnage aux ennemis de la
France. Les Anglais étaient venus faire bataille, l’oriflamme avait été
déployée et le mouvement des armées avait commencé.
Messire Guillaume donna à Thomas une chemise de lin, une bonne
cotte de mailles, un casque doublé de cuir et une épée.
Elle est vieille mais bonne, lui dit-il de l’arme, faite
plutôt pour la taille que pour l’estoc.
Il fournit également à Thomas un cheval, une selle, une
bride et de l’argent. Thomas tenta de refuser ce dernier don, mais messire
Guillaume écarta sa protestation d’un geste.
— Tu m’as déjà pris ce que tu voulais de moi, autant te
donner le reste.
— Pris ? demanda Thomas qui était surpris et même
blessé par cette accusation.
— Eléonore.
— Je ne l’ai pas prise, protesta Thomas.
Un sourire apparut sur le visage ravagé de messire
Guillaume.
— Cela viendra, mon garçon, cela viendra.
Le lendemain, ils se mirent en route vers l’est dans le
sillage de l’armée anglaise qui était désormais à bonne distance. On parlait à
Caen de villes brûlées, mais personne ne savait où était parti l’ennemi.
Messire Guillaume avait le projet d’emmener ses hommes d’armes, son écuyer et
ses serviteurs à Paris.
— Là-bas, quelqu’un saura bien où se trouve le roi,
dit-il. Et toi, Thomas, que comptes-tu faire ?
Thomas s’était demandé la même chose depuis qu’il avait
repris conscience dans la maison de messire Guillaume, mais le moment était
venu de prendre une décision et, à sa grande surprise, il constatait que le
choix se faisait de lui-même.
— Je dois aller auprès de mon roi, répondit-il.
— Et qu’en sera-t-il de ce sir Simon ? Et s’il te
pend une nouvelle fois ?
— J’ai la protection du comte de Northampton, dit
Thomas qui se faisait pourtant réflexion qu’elle n’avait pas servi la première
fois.
— Et Eléonore ?
Messire Guillaume se tourna vers sa fille qui, à
l’étonnement de Thomas, les accompagnait. Son père lui avait donné un petit
palefroi que, par manque d’habitude, elle montait maladroitement en
s’accrochant au pommeau de la selle. Elle-même ne savait pas pourquoi son père
l’avait emmenée. Elle avait suggéré à Thomas que, peut-être, il voulait qu’elle
fasse office de cuisinière.
La question de messire Guillaume fit rougir Thomas. Il
savait bien qu’il ne pouvait pas combattre contre ses propres amis, mais il ne
voulait pas abandonner Eléonore.
— Je reviendrai la chercher, dit-il à messire
Guillaume.
— Si tu es encore en vie, grommela le Français.
Pourquoi ne combattrais-tu pas pour moi ?
— Parce que je suis anglais.
Messire Guillaume eut un ricanement.
— Tu es cathare, tu es français, tu viens du Languedoc,
qui sait ce que tu es ? Tu es le fils d’un prêtre, un bâtard issu d’une
souche hérétique.
— Je suis anglais, dit Thomas.
— Tu es un chrétien, répliqua messire Guillaume, et
Dieu nous a confié, à toi et à moi, une mission. Comment peux-tu remplir cette
mission en rejoignant l’armée d’Edouard ?
Thomas ne répondit pas tout de suite. Est-ce que Dieu lui
avait confié une mission ? Si c’était le cas, il ne voulait pas
l’accepter, car cela impliquerait de croire à la légende des Vexille. Le
lendemain matin de sa rencontre avec frère Germain, Thomas avait parlé avec
Mordecaï dans le jardin de messire Guillaume. Il avait demandé au vieil homme
s’il avait déjà lu le livre de Daniel.
Mordecaï avait poussé un soupir, comme s’il trouvait la
question fastidieuse.
« Il y a des années de cela, bien des années. Il fait
partie des Ketuvim, ces écrits que tous les jeunes juifs doivent avoir lus.
Pourquoi ?
— C’est un prophète, n’est-ce pas ? Il révèle
l’avenir.
— Mon pauvre, avait répondu Mordecaï en s’asseyant sur
le banc et en passant des doigts fins dans sa barbe fourchue. Vous autres
chrétiens, vous voulez absolument que les prophètes prédisent l’avenir, mais ce
n’est pas du tout ce qu’ils faisaient. Ils mettaient Israël en garde. Ils
disaient que nous connaîtrions la mort, la destruction et l’horreur si nous ne
nous corrigions pas. C’étaient des
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