La lance de Saint Georges
Ils devaient être juste assez profonds pour briser les pattes des
chevaux. S’il y avait suffisamment de trous, la charge serait ralentie et
désorganisée.
— Et ici, dit le roi qui avait atteint l’extrémité sud
de la crête, nous placerons des chariots vides. Mettez la moitié des bombardes
ici, et l’autre moitié à l’autre bout. Et je veux plus d’archers ici.
— S’il en reste, grommela le comte de Warwick.
— Des chariots ? s’enquit le comte de Northampton.
— Un cheval ne peut pas charger une ligne de chariots,
William, dit le roi avec bonne humeur.
Puis il fit signe qu’on lui avance son cheval. À cause du
poids de son armure, il fallait que deux pages le hissent sur sa selle,
opération qui manquait de dignité. Une fois installé, il se retourna vers la
ligne de crête qui n’était plus vide. Les premières bannières indiquaient où
les hommes devaient se placer. Dans une heure ou deux, se dit-il, toute son
armée serait en place pour attirer les Français vers les flèches des archers.
Il ôta la terre qui maculait le bout de son bâton, puis il éperonna sa jument
en direction de Crécy.
— Allons voir s’il y a de la nourriture, dit-il.
Au loin, le ciel était gris au-dessus des prés et des bois.
La pluie se mit à tomber vers le nord et le vent devint froid. La route de
l’est, par laquelle les Français devaient arriver, était encore déserte. Les
prêtres priaient.
« Aie pitié de nous, Seigneur, aie pitié de nous en Ta
grande charité ! »
L’homme qui se faisait appeler Harlequin se trouvait dans
les bois sur une colline qui se trouvait à l’est de la crête entre Crécy et
Wadicourt. Il avait quitté Abbeville au milieu de la nuit, en obligeant les
sentinelles à lui ouvrir la porte du nord, et avait conduit ses hommes dans
l’obscurité avec l’aide d’un prêtre d’Abbeville qui connaissait les chemins du
pays. Puis, dissimulé par un bois de hêtres, il avait observé le roi
d’Angleterre pendant qu’il chevauchait et marchait sur la crête. Le roi était
parti mais les bannières étaient plantées en terre et les premières troupes
sortaient du village.
— Ils s’attendent à ce que nous livrions bataille ici,
remarqua-t-il.
— Cet endroit en vaut un autre, fit remarquer sir Simon
Jekyll d’un ton maussade.
Il savait que cet homme étrange vêtu de noir s’était offert
à servir d’éclaireur pour l’armée française, mais il n’avait pas imaginé que
tous ceux qui accompagnaient Harlequin devraient se passer de déjeuner et
avancer à tâtons dans un paysage noir, vide et froid pendant six longues
heures.
— Il est ridicule de combattre ici, répondit Harlequin.
Ils vont placer une ligne d’archers sur la colline et il nous faudra aller
droit sur eux. Ce que nous devrions faire, c’est tourner leur flanc.
Il désigna le nord.
— Dites-le à Sa Majesté, fit sir Simon d’un ton rogue.
— Je doute qu’elle accepte de m’écouter, répondit
Harlequin qui avait saisi la part de mépris que contenait la remarque de sir
Simon mais ne la releva pas. Pas encore, continua-t-il en flattant l’encolure
de son cheval. Quand nous nous serons fait un nom, il nous écoutera. Je ne me
suis trouvé qu’une fois face à des flèches anglaises, et ce n’était qu’un
archer isolé, mais j’ai vu une flèche traverser une cotte de mailles.
— J’ai vu une flèche s’enfoncer dans deux pouces de
chêne, dit sir Simon.
— Trois pouces, précisa Colley.
Tout comme sir Simon, il allait sans doute se trouver face à
ces flèches dans la journée ; néanmoins, il était fier de ce que pouvaient
faire les armes anglaises.
— Une arme dangereuse, admit Harlequin d’une voix peu
soucieuse.
Il était sans cesse ainsi, toujours confiant,
perpétuellement calme, et cette maîtrise de soi irritait sir Simon, mais ce qui
l’agaçait encore plus, c’étaient les yeux d’Harlequin. Ils lui rappelaient ceux
de Thomas de Hookton. Tous les deux avaient le même visage sympathique, mais au
moins Thomas de Hookton était-il mort. Ce serait un archer de moins qu’il
aurait en face de lui ce jour-là.
— Mais les archers peuvent être battus, ajouta
Harlequin.
Sir Simon se dit que le Français s’était trouvé en face d’un
archer une seule fois dans toute sa vie et que cependant il avait déjà
découvert comment les battre.
— Comment ?
— C’est vous qui m’avez dit comment, lui rappela
Harlequin. En
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