La lance de Saint Georges
épuisant leurs flèches, évidemment. On leur envoie des cibles
mineures, on les laisse tuer les paysans, les sots et les mercenaires pendant
une heure ou deux, puis on libère les forces principales. Ce que nous devrions
faire, poursuivit-il en tournant bride, c’est charger en seconde ligne. Peu
importe les ordres que nous recevrons. Attendons qu’ils aient épuisé leurs
flèches. Qui donc a envie d’être tué par quelque paysan crasseux ? Il n’y
a là aucune gloire, sir Simon.
Cela, sir Simon admettait que c’était bien vrai. Il suivit
Harlequin jusqu’à l’autre extrémité du bois de hêtres, où les écuyers et les
serviteurs attendaient avec les chevaux de bât. Deux messagers furent envoyés
pour transmettre à l’arrière les dispositions prises par l’armée anglaise. Le
reste du groupe de reconnaissance mit pied à terre et ôta la selle des chevaux.
Pour les hommes et les animaux, le moment était venu de se reposer et de se
nourrir, de revêtir l’armure de bataille et de prier.
Harlequin priait souvent, ce qui embarrassait sir Simon qui
se considérait comme un bon chrétien, sans être pour autant toujours pendu aux
basques du Seigneur. Il se confessait une ou deux fois par an, allait à la messe
et se découvrait devant les sacrements. À part cela, il consacrait peu de
pensées à la piété. Au contraire, Harlequin se confiait à Dieu tous les jours,
bien qu’il entrât rarement dans une église et passât peu de temps avec les
prêtres. C’était comme s’il entretenait des relations personnelles avec le
ciel, et cela agaçait et rassurait tout à la fois sir Simon. Cela l’agaçait
parce que cette attitude lui paraissait peu virile, et cela le rassurait parce
que si Dieu pouvait être de quelque utilité à un homme de guerre, ce devait
être le jour d’une bataille.
Ce jour, cependant, semblait particulier pour Harlequin, car
après avoir mis un genou à terre et prié un moment en silence, il se releva et
demanda à son écuyer de lui apporter la lance. Sir Simon, désireux de mettre
fin aux pieuses niaiseries et de se mettre à manger, supposa que les chevaliers
étaient censés s’armer. Il envoya Colley chercher sa propre lance, mais
Harlequin l’arrêta.
— Attendez ! ordonna-t-il.
Les lances, dans leurs gaines de cuir, étaient transportées
sur un cheval de bât. Mais Harlequin avait envoyé chercher une autre lance, qui
avait voyagé sur son cheval et était enveloppée de tissu et de cuir. Sir Simon
avait cru que c’était l’arme personnelle d’Harlequin, mais quand elle fut déballée,
il vit que c’était une antique pique déformée, d’un bois si vieux et noirci
qu’elle ne manquerait pas de se fendre en rencontrant le moindre obstacle. La
pointe semblait en argent, ce qui était stupide car ce métal était trop mou
pour infliger des blessures mortelles.
— Vous n’allez pas vous battre avec ça ! fit sir
Simon en ricanant.
— Nous allons tous nous battre avec ça, dit Harlequin.
Et, à la grande surprise de sir Simon, l’homme en noir se
remit à genoux.
— À genoux ! intima-t-il à sir Simon.
Sir Simon s’exécuta avec le sentiment d’être un imbécile.
— Vous êtes un bon soldat, sir Simon, dit Harlequin.
J’ai connu peu d’hommes capables de manier les armes comme vous le faites, et
je ne voudrais personne d’autre que vous à mes côtés dans le combat, mais il y
a quelque chose de plus important que les épées, les lances et les flèches. Il
faut réfléchir avant de combattre, et il faut toujours prier, car si Dieu est
avec vous, personne ne peut vous vaincre.
Sir Simon, qui sentait confusément qu’une critique lui était
adressée, fit un signe de croix.
— Je prie, dit-il sur la défensive.
— Alors remerciez Dieu que nous emportions cette lance
dans la bataille.
— Pourquoi ?
— Parce que c’est la lance de saint Georges, et celui
qui combattra sous sa protection sera protégé par Dieu.
Sir Simon contempla la lance qui avait été posée avec
précaution dans l’herbe. Il y avait eu quelques occasions dans sa vie,
généralement alors qu’il était à moitié ivre, où il avait entraperçu les
mystères du divin. Une fois, un terrible dominicain l’avait fait fondre en
larmes, mais l’effet ne s’était pas prolongé au-delà de sa deuxième visite à la
taverne. Il s’était également senti tout petit la première fois qu’il était
entré dans une cathédrale dont la voûte
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