La lance de Saint Georges
La jument trottait avec aisance dans l’air du matin.
— Elle est espagnole, dit le roi au comte. Je l’ai
achetée à Grindley. Avez-vous recours à lui ?
— Je le ferais si j’en avais les moyens.
— Bien sûr que vous les avez, William ! Un homme
riche comme vous ? Je vais la faire couvrir. Il se pourrait qu’elle donne
de bons destriers.
— Si elle en donne, sire, je vous en achèterai un.
— Si les prix de Grindley sont trop élevés pour vous,
plaisanta le roi, comment pourrez-vous payer le mien ?
Il mit sa jument au petit galop. La longue file d’hommes se
hâta derrière lui sur le chemin qui conduisait vers le nord, au sommet de la
crête. Des pousses de blé et d’orge avaient surgi là où les grains étaient
tombés des charrettes qui apportaient la moisson au moulin. Le roi s’arrêta
juste au-dessus du village de Wadicourt et regarda vers le nord. Son cousin
avait raison. Philippe devrait s’avancer dans ce paysage vide et lui couper la
route de la Flandre. Les Français, à condition qu’ils s’en rendent compte,
étaient les maîtres ici. Leur armée était plus grande, leurs hommes plus frais
et ils pouvaient former des cercles autour de leur ennemi fatigué jusqu’à ce
que les Anglais soient contraints à une attaque désespérée ou soient enfermés
dans un endroit qui ne leur offrirait aucun avantage. Mais Edouard avait mieux
à faire que laisser la peur s’emparer de son esprit. Les Français aussi étaient
dans une situation désespérée. Ils avaient souffert l’humiliation de voir une
armée ennemie saccager leur pays et ils n’étaient pas en état de faire preuve
d’intelligence. Ils voulaient une revanche. Qu’on leur en offre une occasion et
il était probable qu’ils mordraient à l’hameçon. Le roi chassa donc sa peur et
descendit dans le village de Wadicourt où quelques villageois étaient restés.
Ces gens, voyant la couronne d’or sur le heaume du roi et la chaîne d’argent
sur sa jument, se mirent à genoux.
— Nous ne vous voulons aucun mal, leur dit le roi avec
grâce, tout en sachant bien qu’avant la fin de la matinée leurs maisons
seraient mises à sac de fond en comble.
Il tourna bride pour se diriger vers le sud, chevauchant au
pied de la pente. La terre était molle mais sûre. Un cheval ne s’y enfoncerait
pas, une charge était possible et, mieux encore, exactement comme il l’avait
pensé, vue d’en bas, la pente ne paraissait pas raide. Mais c’était trompeur.
La longue étendue d’herbe paraissait égale, mais en réalité elle couperait les
jambes des chevaux avant qu’ils parviennent jusqu’aux hommes d’armes anglais.
Si toutefois ils y parvenaient.
— De combien de flèches disposons-nous ?
demanda-t-il à la cantonade.
— Douze cents gerbes, répondit l’évêque de Durham.
— Deux charrettes pleines, dit le comte de Warwick.
— Huit cent soixante gerbes, dit le comte de
Northampton.
Après un silence, le roi demanda :
— Les hommes en ont un peu avec eux ?
Peut-être une gerbe chacun, répondit le comte de Northampton
d’un air sombre.
— Il faudra bien que ça suffise, dit le roi d’un ton
morne.
Il aurait aimé avoir deux fois plus de flèches, mais il y
avait beaucoup de choses qu’il aurait aimé avoir. Il pouvait souhaiter disposer
de deux fois plus d’hommes, et vouloir que la pente de la colline soit deux
fois plus raide et aussi que l’ennemi soit conduit par un homme deux fois plus
nerveux que Philippe de Valois, et Dieu sait s’il était déjà bien assez
nerveux. Mais cela ne servait à rien de vouloir ceci ou cela. Il lui fallait
combattre et gagner. Il fronça les sourcils en regardant la partie sud de la
crête, à l’endroit où elle descendait sur le village de Crécy. C’était là que
l’attaque serait la plus facile pour les Français, ce serait aussi le point le
plus proche pour eux. Ce qui signifiait que le combat serait rude à cet
endroit.
— Les bombardes, William, dit-il au comte de
Northampton.
— Les bombardes, sire ?
Nous placerons les bombardes sur les flancs. Il faut bien
que ces choses-là servent quelquefois !
— Nous pourrions peut-être les faire rouler du haut de
la colline, sire ? Il se peut qu’elles écrasent un homme ou deux.
Le roi se mit à rire et avança sur sa jument.
— On dirait qu’il va pleuvoir.
— La pluie ne devrait pas arriver tout de suite,
répondit le comte de Warwick, et les Français non plus ne
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