La lance de Saint Georges
et direct. Les soldats l’aimaient parce qu’il était aussi
rude qu’eux-mêmes.
Lorsque sir Simon pénétra dans la tente, les cheveux bouclés
du comte étaient recouverts d’un bandage à l’endroit où la pierre jetée depuis
les remparts de La Roche-Derrien avait fendu le heaume, dont une pointe de
métal avait entamé le cuir chevelu. Le comte accueillit froidement sir
Simon :
— Fatigué de la vie ?
— Cette petite sotte ferme les yeux quand elle
tire ! dit sir Simon sans prêter attention au ton employé par le comte.
— Pourtant, elle vise bien, répondit celui-ci avec
colère, et voilà qui va donner du cœur à ces bâtards. Dieu sait qu’ils n’ont
pas besoin d’encouragement.
— Je suis vivant, messire ! dit sir Simon d’un ton
chaleureux. Elle voulait me tuer. Elle a échoué. L’ours vit et les chiens
restent sur leur faim.
Il attendait que les compagnons du comte le congratulent,
mais ils évitaient son regard et il interpréta leur silence maussade comme de
la jalousie.
Le comte pensait que sir Simon était un fieffé imbécile. Il
frissonna. Tant que l’armée avait remporté des succès, il n’avait pas prêté
attention au froid, mais, depuis deux mois, les Anglais et leurs alliés
bretons, allant d’échec en échec, s’étaient couverts de ridicule et les six
assauts contre La Roche-Derrien les avaient plongés dans la plus profonde
déréliction. Aussi avait-il réuni un conseil de guerre afin de suggérer de
livrer un dernier assaut, cet après-midi même. Toutes les attaques précédentes
avaient eu lieu le matin. Il était possible qu’une escalade dans la lumière
déclinante de ce jour d’hiver prenne les défenseurs par surprise. Seulement le
petit avantage que donnerait la surprise avait été gâché par l’acte irréfléchi
de sir Simon, qui avait renforcé la confiance des habitants alors qu’il y en
avait si peu parmi les capitaines rassemblés sous la toile de tente jaunie.
Quatre d’entre eux, des chevaliers comme sir Simon,
conduisaient leurs hommes à la guerre, mais les autres étaient des mercenaires
qui avaient mis leurs troupes au service du comte. Parmi ceux-là, trois Bretons
portant l’hermine du duc de Bretagne commandaient des soldats fidèles au duc de
Montfort tandis que les autres capitaines étaient des Anglais, hommes de basse
extraction qui s’étaient élevés par la dure pratique des combats. Il y avait là
Will Skeat, et auprès de lui se trouvait Richard Totesham, qui avait commencé
comme soldat et commandait maintenant cent quarante chevaliers et
quatre-vingt-dix archers pour le service du comte. Aucun de ces deux hommes
n’avait jamais participé à un tournoi, et d’ailleurs ils n’y seraient jamais
invités, et cependant tous deux étaient plus riches que sir Simon, à qui cela
restait en travers de la gorge. Ces capitaines indépendants, le comte de
Northampton les appelait « mes chiens de guerre », et il les aimait
bien, mais le comte avait un goût étrange pour la compagnie vulgaire. Tout
cousin du roi d’Angleterre qu’il était, William Bohun buvait joyeusement avec
des hommes comme Skeat et Totesham ; il mangeait avec eux, chassait avec
eux, leur parlait en anglais et leur faisait confiance. Sir Simon se sentait
exclu de cette amitié. Si un homme dans cette armée devait être un intime du
comte, c’était bien sir Simon, champion de tournoi reconnu, mais Northampton
préférait rouler dans le caniveau avec des hommes comme Skeat.
— Il pleut toujours ? demanda le comte.
— La pluie se remet à tomber, répondit sir Simon en
levant la tête vers le toit de la tente que les gouttes d’eau vinrent frapper
au même moment.
— Ça va s’éclaircir, dit Skeat avec un air maussade.
Il appelait rarement le comte « monseigneur » mais
s’adressait plutôt à lui comme un égal, ce qui, à la stupéfaction de sir Simon,
semblait plaire au comte.
— Et puis ce n’est que du crachin, ça n’empêchera pas
les arcs de tirer, dit le comte en écartant le rabat pour jeter un coup d’œil à
l’extérieur, ce qui fit pénétrer un courant d’air froid et humide.
— Les arbalètes non plus, intervint Richard Totesham
qui ajouta : Les crapules !
Ce qui rendait l’échec des Anglais si humiliant, c’était que
les défenseurs de La Roche-Derrien n’étaient pas des soldats mais de simples
citadins : des pêcheurs, des constructeurs de bateaux, des charpentiers,
des maçons, et il
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