La lance de Saint Georges
franchi les pieux la nuit
dernière mener le groupe. C’est un brave garçon, assurément. Il est
intelligent, le bâtard, mais un peu bizarre. Il s’apprêtait à devenir prêtre,
seulement il m’a rencontré et il a repris ses esprits.
Le comte était vraiment tenté par cette suggestion. Il se
mit à jouer avec la poignée de son épée et opina du chef :
— Je pense que nous devrions rencontrer ce bâtard
intelligent. Est-il à proximité ?
— Je l’ai laissé dehors, dit Skeat qui pivota sur son
tabouret et appela : Tom ! Espèce de sauvage ! Viens par
ici !
Tom pénétra dans la tente. Les capitaines virent entrer un
grand jeune homme aux longues jambes, tout vêtu de noir, à l’exception de sa
cotte de mailles et d’une croix rouge cousue sur sa tunique. Toutes les troupes
anglaises portaient cette croix de Saint-Georges qui permettait de distinguer
un ami d’un ennemi dans la mêlée. Le jeune homme s’inclina devant le comte qui
reconnut un archer qu’il avait remarqué auparavant ; cela n’était guère
surprenant car Thomas avait une apparence propre à attirer le regard. Ses
cheveux noirs étaient noués par une corde d’arc, il avait un long nez osseux
écrasé, le menton bien rasé et un regard attentif et intelligent, mais ce qu’il
y avait peut-être de plus remarquable chez lui, c’était sa propreté. Et aussi
l’arc qu’il portait à l’épaule. Le comte n’en avait jamais vu d’aussi grand, et
de surcroît il était teint en noir et portait dans sa partie supérieure une
plaque d’argent qui paraissait gravée d’armoiries. Cela révélait de l’orgueil,
pensa le comte, de l’orgueil et de la fierté, et il approuvait l’un et l’autre.
— Pour quelqu’un qui était dans la boue de la rivière
jusqu’aux genoux cette nuit, tu es remarquablement propre, dit le comte avec un
sourire.
— Je me suis lavé, monseigneur.
— Tu vas attraper froid, l’avertit le comte. Comment
t’appelles-tu ?
— Thomas de Hookton, monseigneur.
— Eh bien, dis-moi ce que tu as découvert la nuit
dernière, Thomas de Hookton.
Thomas fit un récit identique à celui de Skeat. Il raconta
comment, à la nuit tombée, il s’était engagé dans la boue de la Jaudy. Il avait
trouvé la palissade de pieux en mauvais état, pourrissante et branlante. Il
avait ôté l’un des pieux, s’était glissé dans l’ouverture et avait fait
quelques pas en direction du quai le plus proche.
— Monseigneur, j’étais assez près pour entendre une
femme chanter, dit-il.
La chanson était celle que la mère de Thomas lui chantait
lorsqu’il était petit et cette coïncidence l’avait frappé.
Quand Thomas eut achevé son récit, le comte fronça les
sourcils, non qu’il désapprouvât les propos de l’archer mais parce qu’il
sentait des élancements dans la blessure au crâne qui l’avait laissé
inconscient pendant une heure.
— Qu’est-ce que tu faisais près de la rivière la nuit
dernière ? demanda-t-il, pour se donner le temps de la réflexion.
Thomas ne répondit rien.
— Il s’occupait de la femme d’un autre, finit par dire
Skeat. C’était cela qu’il faisait, monseigneur, il s’occupait de la femme d’un
autre.
Tous se mirent à rire, à l’exception de sir Simon Jekyll qui
regardait le rougissant Thomas d’un air peu amène. Ce corniaud était un simple
archer et pourtant il portait une meilleure cotte de mailles que la
sienne ! Et il avait une assurance qui confinait à l’impudence. Sir Simon
tressaillit. Il y avait dans la vie une injustice qu’il ne parvenait pas à
comprendre. Ces archers de la campagne s’emparaient de chevaux, d’armes et
d’armures tandis que lui, champion de tournois, n’avait réussi à prendre qu’une
malheureuse paire de bottes. Il sentit le besoin irrésistible de rabattre le
caquet de ce grand archer flegmatique.
Sir Simon s’adressa au comte en français afin de n’être
compris que d’une poignée d’hommes bien nés :
— Il suffira d’une seule sentinelle en éveil et ce
garçon sera mort, et notre attaque s’effondrera dans la boue de la rivière.
Thomas jeta à sir Simon un regard très calme, insolent par son
absence d’expression, puis il répondit dans un français impeccable :
— Nous attaquerons dans l’obscurité.
Ensuite il se tourna à nouveau vers le comte :
— La marée sera basse juste avant l’aube, monseigneur.
Le comte le regarda avec une expression de
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