La lance de Saint Georges
Que
disait-elle ?
— Que nous allions tous mourir.
— Ah, c’est bien vrai. Mais que ce soit dans notre lit,
par la grâce de Dieu.
— Et elle dit que nous ne devons pas franchir cette
porte.
— Il y a plein de place dehors, dit placidement Skeat
en regardant l’un de ses hommes qui tuait une génisse d’un coup de hache.
Le sang jaillit à flots dans la cour, ce qui attira une
meute de chiens venus le laper tandis que deux archers commençaient à dépecer
l’animal encore palpitant.
— Écoutez bien ! cria Skeat à ses hommes après
être monté sur une borne contre le mur de l’écurie. Le comte a ordonné qu’on ne
touche pas à cette fille. Vous comprenez, fils de porcs ! Que vos
hauts-de-chausses restent bien lacés quand elle est dans les parages, sinon je
vous châtre ! Traitez-la bien, et ne franchissez pas cette porte !
Vous vous êtes bien amusés, maintenant il faut redevenir des soldats corrects.
Le comte de Northampton partit au bout d’une semaine,
ramenant le plus gros de son armée à la forteresse du Finistère, qui était au
cœur de la région fidèle au duc Jean. Il laissa Richard Totesham comme
commandant de la nouvelle garnison, mais aussi sir Simon Jekyll pour le
seconder.
— Le comte veut se débarrasser de cette crapule, alors
il nous l’a laissée.
Comme Skeat et Totesham étaient tous deux des capitaines
indépendants, la jalousie aurait pu entacher leurs relations, mais les deux
hommes se respectaient. Pendant que Totesham et ses hommes demeuraient à La
Roche-Derrien et en amélioraient les défenses, Skeat parcourait la campagne
pour punir ceux qui payaient leurs rentes et faisaient allégeance au duc
Charles. Les hellequins étaient lâchés afin d’être le fléau de la Bretagne du
Nord.
Ce n’était pas difficile de ruiner une terre. Les maisons et
les granges avaient beau être construites en pierre, leurs toitures brûlaient.
Le bétail était capturé et si les bêtes étaient trop nombreuses pour être
emmenées à la ville, on les tuait et on jetait leurs carcasses dans les puits
pour empoisonner l’eau. Les hommes de Skeat brûlaient ce qui pouvait brûler,
brisaient ce qui pouvait se rompre et volaient ce qui pouvait se vendre. Ils
tuaient, violaient et pillaient. Bien avant leur arrivée, les gens quittaient
leurs fermes, laissant un paysage désolé. Ils étaient les cavaliers du diable
et ils exécutaient les volontés du roi Edouard en saccageant la terre de son
ennemi.
Ils détruisirent village après village – Kervec et Lanvellec,
Saint-Laurent et Les Sept-Saints, Tonquedec et Berhet, et quantité d’autres
lieux dont ils ne connaissaient même pas le nom. Puis vint le temps de Noël et,
de retour chez soi, on tira les bûches par les champs gelés jusqu’aux salles
où, sous les hauts plafonds, les troubadours chantaient Arthur et ses
chevaliers, les preux chevaliers forts et généreux. Mais en Bretagne, les
hellequins faisaient la véritable guerre. Les soldats n’étaient pas des
parangons de vertu ; ils avaient peur, c’étaient des hommes mauvais qui
prenaient plaisir à détruire. Ils lançaient des torches enflammées sur la
paille et détruisaient ce que des générations avaient construit. Des lieux trop
petits pour avoir un nom disparurent et seules les fermes situées dans la
grande péninsule entre les deux rivières qui coulaient au nord de La
Roche-Derrien furent épargnées, parce qu’elles étaient nécessaires à
l’approvisionnement de la garnison. Un certain nombre de serfs, chassés de
leurs terres, furent assignés à l’élévation des murs, au défrichage d’une
surface plus grande devant les remparts et à la construction d’une nouvelle
palissade sur les berges de la rivière. Pour les Bretons, ce fut un hiver de
grande misère. Des pluies froides venaient de l’Atlantique et les Anglais
pillaient les campagnes.
De temps à autre s’élevait une résistance. Un homme
courageux tirait avec son arbalète depuis le coin d’un bois, mais les hommes de
Skeat savaient attraper et tuer ce genre d’ennemi. Une douzaine d’archers
descendaient de cheval et s’avançaient vers lui tandis qu’une vingtaine
d’autres galopaient pour le prendre à revers, et peu après on entendait un cri.
Une nouvelle arbalète était ajoutée au butin. Son propriétaire était éventré,
mutilé et pendu à un arbre en guise d’avertissement et la leçon portait ses
fruits car ces embuscades devinrent plus
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