La lance de Saint Georges
avait
coupé la ville de son commerce habituel avec Rennes et Guingamp, mais les
propriétaires de bateaux avaient maintenant toute liberté d’aller en Gascogne
et en Angleterre, si bien que leurs profits augmentèrent. Les navires locaux
furent affrétés afin de transporter des flèches pour les troupes anglaises.
Certains propriétaires rapportèrent des ballots de laine anglaise qu’ils
revendirent dans d’autres ports bretons restés fidèles au duc Charles. Peu de
gens étaient désireux de voyager par terre loin de La Roche-Derrien car ils
avaient besoin d’un sauf-conduit délivré par Richard Totesham, le commandant de
la garnison, et si ce morceau de parchemin les mettait à l’abri des hellequins,
il ne servait à rien contre les brigands qui s’étaient installés dans les
fermes que les hommes de Skeat avaient vidées de leurs occupants. Mais les
bateaux de La Roche-Derrien et de Tréguier pouvaient encore faire voile vers
Paimpol à l’est et vers Lannion à l’ouest, et ainsi commercer avec les ennemis
de l’Angleterre. C’est par cette voie que la correspondance pouvait sortir de
La Roche-Derrien. Presque chaque semaine Jeannette adressait au duc Charles des
nouvelles sur les changements que les Anglais apportaient aux défenses de la
ville. Elle ne recevait jamais de réponse mais se persuadait que ses lettres
étaient utiles.
La Roche-Derrien prospérait, mais Jeannette souffrait. Les
affaires de son père suivaient leur cours, pourtant les profits disparaissaient
mystérieusement. Les plus gros bateaux avaient de tout temps été amarrés à
Tréguier, qui était à une heure de navigation, et bien que Jeannette les ait
envoyés en Gascogne pour aller y chercher du vin destiné au marché anglais, ils
ne revinrent jamais. Soit ils avaient été capturés par des bâtiments français,
soit, plus probablement, leurs capitaines avaient décidé de commercer pour leur
propre compte. Les fermes de la famille étaient situées au sud de La
Roche-Derrien, sur le territoire dévasté par les hommes de Skeat, ce qui en
avait fait disparaître les rentes. Plabennec, le domaine de son mari, était
dans le Finistère, tenu par les Anglais, et de cette terre Jeannette n’avait
pas vu un sou en trois ans. Cela fit que dès les premières semaines de 1346 sa
situation devint désespérée et que le robin Belas menaça de lui saisir sa
maison.
Belas prit un malin plaisir à lui rappeler qu’elle avait
ignoré ses conseils, et qu’elle n’aurait jamais dû armer les deux bateaux pour
la guerre. Jeannette supporta ses airs pompeux puis lui demanda de rédiger une
requête qu’elle adresserait à la cour d’Angleterre. Cette requête réclamerait
les rentes de Plabennec, dont les envahisseurs s’étaient emparés. Cela
déplaisait à Jeannette de devoir s’en remettre au roi d’Angleterre, mais quel
autre choix avait-elle ? Sir Simon l’avait réduite à la pauvreté.
Belas s’assit à sa table et écrivit sur un bout de
parchemin.
— Combien de moulins y a-t-il à Plabennec ?
demanda-t-il.
— Il y en avait deux.
— Deux, dit-il en notant le chiffre… Vous devez savoir,
ajouta-t-il avec précaution, que le duc a réclamé ces rentes.
— Le duc ? demanda Jeannette étonnée. Pour
Plabennec ?
— Le duc Charles considère que c’est son fief, dit
Belas.
— Peut-être, mais mon fils est le comte.
— Le duc considère qu’il est le protecteur de l’enfant,
fit observer Belas.
— Comment savez-vous tout cela ? demanda
Jeannette.
— J’ai reçu une correspondance des hommes d’affaires du
duc, à Paris, dit Belas en haussant les épaules.
— Quelle correspondance ?
— Au sujet d’autre chose, éluda Belas, d’une affaire
tout à fait différente. Les rentes de Plabennec étaient collectées tous les
trois mois, je présume ?
— Pourquoi les hommes d’affaires du duc vous
parleraient-ils de Plabennec ? demanda Jeannette avec un regard
soupçonneux.
— Ils m’ont demandé si je connaissais la famille.
Naturellement, je n’ai rien dévoilé.
Jeannette était persuadée qu’il mentait. Elle devait de
l’argent à Belas, en fait elle avait des dettes auprès de la moitié des
négociants de La Roche-Derrien. Belas devait penser qu’elle ne le rembourserait
probablement pas et donc il se tournait vers le duc Charles pour un éventuel
règlement.
— Monsieur Belas, dit-elle avec froideur, vous allez me
dire exactement ce que vous avez écrit
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