La lance de Saint Georges
dans ses meilleurs
moments, ne manquait pas de rire en racontant son histoire. Guinefort était un
chien et, pour autant que le sache le père de Thomas, il était le seul animal à
avoir été canonisé. La pauvre bête avait sauvé un nourrisson attaqué par un
loup, puis avait été martyrisée par son maître qui croyait qu’elle avait dévoré
l’enfant alors que, en réalité, celui-ci était dissimulé sous son lit.
« Prions saint Guinefort ! », telle avait été la réaction du
père Ralph à toute crise domestique, aussi Thomas en avait-il fait son saint
patron. Il se demandait parfois si ce saint était un intercesseur efficace dans
les cieux. Ses couinements et ses aboiements devaient avoir autant d’effet que
les plaidoyers des autres saints. Thomas était certain que peu de gens devaient
se faire représenter auprès du Seigneur par un chien, ce qui signifiait
peut-être qu’il recevait une protection particulière. Le père Hobbe avait été
choqué d’entendre parler d’un chien canonisé, mais Thomas, tout en partageant
l’amusement de son père, en était venu à considérer véritablement l’animal
comme son protecteur.
Jeannette aurait bien voulu en savoir plus sur saint
Guinefort, mais elle ne souhaitait pas encourager une relation intime avec l’un
des hommes de Skeat, aussi oublia-t-elle sa curiosité et reprit-elle une
intonation distante.
— Je voulais vous voir pour vous dire que vos hommes et
leurs femmes ne doivent pas se servir de la cour comme de latrines. Je les
aperçois de ma fenêtre. C’est répugnant ! Peut-être vous conduisez-vous
ainsi en Angleterre, mais vous êtes en Bretagne. Vous pouvez utiliser la rivière.
Thomas acquiesça mais ne dit rien. Il emporta son arc dans
la nef dont l’un des côtés était obscurci par des filets de pêche suspendus à
cet endroit afin d’être réparés. Il alla jusqu’à l’extrémité ouest qui était
décorée par une peinture du Jugement dernier. Les justes disparaissaient vers
les poutres, tandis que les pécheurs étaient précipités dans l’enfer embrasé
sous les acclamations des anges et des saints. Thomas s’arrêta devant le
tableau.
— Avez-vous remarqué, dit-il, que les plus jolies
femmes vont en enfer alors que les laides montent au ciel ?
Jeannette faillit sourire car elle s’était souvent
interrogée sur ce point, mais elle se mordit la langue et ne répondit rien
tandis que Thomas revenait vers la nef auprès d’une peinture représentant le
Christ marchant sur une mer grise avec des vagues aux crêtes blanches,
semblable à l’océan devant les côtes de Bretagne. Des maquereaux pointaient
leur tête hors de l’eau pour observer le miracle.
— Ce que vous devez comprendre, madame, dit Thomas en
regardant les maquereaux curieux, c’est que nos hommes n’aiment pas être mal
accueillis. Vous ne leur laissez même pas utiliser votre cuisine.
Pourquoi ? Elle est bien assez grande et ils seraient heureux d’avoir un
endroit où faire sécher leurs bottes après une nuit de cheval sous la pluie.
— Pourquoi devrais-je vous accepter, vous autres
Anglais, dans ma cuisine ? Pour que vous l’utilisiez comme latrines
également ?
Thomas se retourna et la regarda.
— Vous n’avez aucun respect pour nous, madame, pourquoi
devrions-nous respecter votre maison ?
— Respect ! Comment puis-je vous respecter ?
Tout ce qui était précieux a été volé. Volé par vous !
— Par sir Simon Jekyll, dit Thomas.
— Vous ou sir Simon, où est la différence ?
Thomas ramassa la flèche et la remit dans son sac.
— La différence, madame, c’est que de temps en temps je
m’adresse à Dieu, tandis que sir Simon considère qu’il est Dieu. Je vais
demander à mes hommes d’aller uriner dans la rivière, mais je doute qu’ils
veuillent vous complaire à ce point.
Il lui adressa un sourire et disparut.
Le printemps faisait verdir la campagne, donnant un halo aux
arbres et ornant de jolies fleurs les chemins qui serpentaient à travers les
prés. Une mousse verte se mit à croître sur la paille. Les stellaires blanches
ornaient les haies et les martins-pêcheurs frôlaient les nouvelles feuilles
jaunes des saules au bord de la rivière. Les hommes de Skeat devaient aller à
une plus grande distance de La Roche-Derrien pour trouver du butin et leurs
longues chevauchées les rapprochaient dangereusement de Guingamp, le quartier
général du duc, bien que la garnison de la
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