La lance de Saint Georges
ne
reverrai plus jamais Charles. Plus jamais !
— Alors pourquoi être venue si loin ?
— Je ne sais pas, je ne sais pas.
Elle était en colère comme quand Thomas l’avait rencontrée à
La Roche-Derrien.
— Parce que j’étais folle, ajouta-t-elle d’un air
maussade.
— Tu as dit que tu voulais faire appel au roi, eh bien
il est là, dit Thomas en tendant le bras vers la lueur livide des feux, fais appel
à lui ici.
— Il ne me croira sans doute pas, dit Jeannette avec
obstination.
— Et que ferons-nous en Bretagne ? demanda Thomas.
Mais Jeannette ne daigna pas lui répondre. Elle avait
toujours son air boudeur et fuyait son regard.
— Tu peux épouser l’un des hommes d’armes du duc,
continua Thomas. C’est bien ce qu’il voulait, n’est-ce pas ? Une femme
complaisante d’un courtisan complaisant, de façon qu’il puisse prendre son
plaisir quand l’envie lui en vient.
— N’est-ce pas ce que tu fais ? lui lança-t-elle
avec défi en le regardant en face.
— Moi, je t’aime, dit Thomas.
Jeannette ne répondit rien.
— Je t’aime vraiment, reprit-il en se sentant idiot de
lui faire cet aveu car elle ne lui avait jamais dit la même chose.
Jeannette regarda l’horizon embrasé qui était en partie
masqué par les feuilles de la forêt.
— Est-ce que ton roi me croira ? lui
demanda-t-elle.
— Comment pourrait-il ne pas te croire ?
— Ai-je l’air d’une comtesse ?
Elle avait l’air dépenaillée, pauvre et belle.
— Tu t’exprimes comme une comtesse, lui dit Thomas, et
les clercs du roi se renseigneront auprès du comte de Northampton.
En fait, il ne savait pas ce qu’il en serait, mais il
voulait l’encourager.
Jeannette restait assise, la tête penchée.
— Sais-tu ce que le duc m’a dit ? Que ma mère
était juive !
Elle le regarda en espérant le voir partager son
indignation.
Thomas fronça les sourcils.
— Je n’ai jamais vu de juif, dit-il.
Jeannette faillit exploser de colère :
— Et moi, tu crois que j’en ai vu ? Il faut que tu
rencontres le diable pour savoir qu’il est mauvais ? Un cochon pour
découvrir qu’il sent mauvais ?
Elle se mit à pleurer.
— Je ne sais que faire.
— Nous irons voir le roi, dit Thomas.
Le lendemain matin, il partit vers le nord. Après une
hésitation, Jeannette le suivit. Elle avait essayé de nettoyer sa robe mais
celle-ci était dans un tel état que tout ce qu’elle put faire fut d’en ôter les
brindilles et l’humus. Elle rassembla ses cheveux et les fit tenir avec des
éclats de bois.
— Quel genre d’homme est le roi ? demanda-t-elle à
Thomas.
— On dit que c’est un homme bon.
— Qui le dit ?
— Tout le monde. Il a des manières directes.
— Néanmoins, il est anglais, dit doucement Jeannette.
Thomas fit semblant de n’avoir pas entendu.
— Est-il gentil ? lui demanda-t-elle.
— Personne ne dit qu’il est cruel, répondit Thomas,
avant de lever la main pour faire signe à Jeannette de se taire.
Il avait aperçu des cavaliers en cotte de mailles.
Thomas avait toujours trouvé étrange que, dans leurs livres,
les moines et les copistes représentent la guerre d’une manière pittoresque.
Leurs pinceaux de poils d’écureuil montraient des hommes en surcots ou en
jupons [5] aux couleurs vives et leurs chevaux recouverts de housses joliment coupées. Or,
la plupart du temps, la guerre était grise jusqu’à ce que les flèches viennent
mordre les chairs ; elle était alors éclaboussée de rouge. Le gris était
la couleur des cottes de mailles et Thomas voyait du gris à travers les
feuilles vertes. Il ne savait pas si c’étaient des Anglais ou des Français,
mais il craignait les deux. Les Français étaient ses ennemis, mais les Anglais
aussi tant qu’ils n’étaient pas persuadés qu’il était anglais lui-même et qu’il
n’était pas un déserteur de leur armée. D’autres cavaliers apparurent et
ceux-là portaient des arcs, c’étaient donc des Anglais. Cependant Thomas
restait hésitant. Il ne savait comment parvenir à convaincre son propre camp
qu’il n’était pas un déserteur. Au-delà des cavaliers, caché par un bois, un
bâtiment avait dû être incendié car une fumée commençait à s’épaissir au-dessus
des frondaisons. Les cavaliers regardèrent en direction de Thomas et Jeannette
mais tous deux étaient cachés par des ajoncs. Au bout d’un moment, persuadés
qu’aucun ennemi ne les
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