La lance de Saint Georges
depuis
Rennes.
— Je dois m’estimer satisfaite, dit-elle très
sérieusement, mon fils est vivant, on s’occupera bien de lui et un jour je le
retrouverai.
— Nous le retrouverons tous les deux, dit Thomas.
— Tous les deux ?
— Je n’ai tenu aucune de mes promesses. La lance est
toujours en Normandie, sir Simon est vivant et je ne sais pas comment je vais
pouvoir retrouver votre fils. Il semble que mes promesses soient sans valeur,
mais je ferai de mon mieux.
Elle lui tendit la main et la laissa dans la sienne.
— Nous avons été punis, vous et moi, lui dit-elle.
Probablement du péché de fierté. Le duc avait raison. Je n’appartiens pas à la
noblesse. Je suis la fille d’un marchand mais je pensais être plus que cela et
à présent regardez ce que je suis.
— Plus mince, dit Thomas, mais belle.
Elle haussa les épaules.
— Où sommes-nous ?
— À une journée de Rennes.
— C’est tout ?
— Dans un abri de porc à une journée de Rennes.
— Il y a quatre ans, je vivais dans un château,
dit-elle mélancoliquement. Plabennec n’était pas grand mais il était beau. Il
avait une tour et une cour d’honneur, deux moulins, une rivière et un verger où
poussaient des pommes très rouges.
— Vous les reverrez, dit Thomas, vous et votre fils.
Il regretta aussitôt d’avoir mentionné son fils car des
larmes vinrent aux yeux de Jeannette, mais elle les essuya.
— C’est l’homme de loi, dit-elle.
— L’homme de loi ?
— Belas. Il a menti au duc.
Il y avait dans sa voix une sorte d’étonnement que Belas ait
commis cette trahison.
— Il a dit au duc que je soutenais le duc Jean. Eh
bien, c’est ce que je vais faire, Thomas, c’est ce que je vais faire. Je vais
soutenir votre duc. Si c’est le seul moyen de récupérer Plabennec et de
retrouver mon fils, je soutiendrai le duc Jean.
Sa main étreignit très fort celle de Thomas.
— J’ai faim.
Ils passèrent encore une semaine dans la forêt pendant que
Jeannette reprenait des forces. Tout d’abord, telle une bête qui lutte pour
s’échapper d’un piège, elle imagina des plans afin de se venger tout de suite
du duc et de retrouver son fils, mais ces plans étaient irréalisables. Puis, à
mesure que les jours passaient, elle accepta son destin.
— Je n’ai aucun ami, dit-elle un soir à Thomas.
— Vous m’avez, moi, madame.
— Ils sont morts, reprit Jeannette sans tenir compte de
lui. Ma famille est morte. Mon mari est mort. Pensez-vous que je porte malheur
à ceux que j’aime ?
— Ce que je pense, dit Thomas, c’est que nous devrions
aller vers le nord.
Elle fut irritée par son esprit pratique.
— Je ne suis pas sûre de vouloir aller au nord.
— Moi, si, répondit Thomas avec entêtement.
Jeannette savait que plus elle irait au nord, plus elle
s’éloignerait de son fils, mais elle ne savait que faire d’autre et cette
nuit-là, comme si elle acceptait d’être guidée par Thomas, elle vint dans son
lit de fougères et ils devinrent amants. Après, elle se mit à pleurer, mais
ensuite ils firent à nouveau l’amour, joyeusement cette fois, comme si elle
pouvait diminuer son malheur par les consolations de la chair.
Le lendemain matin, ils partirent. Vers le nord. L’été était
venu, revêtant le paysage d’un épais manteau vert. Thomas avait dissimulé l’arc
dans son bâton de pèlerin, en le recouvrant de liseron et de laurier au lieu de
trèfle.
Sa robe noire était en loques et personne ne pouvait le
prendre pour un moine. Jeannette avait retiré les restes de fourrure de sa robe
de velours rouge qui, à présent, était sale, chiffonnée et usée. Ils
ressemblaient à des vagabonds et ils se déplaçaient comme des fugitifs,
contournant les villes et les bourgs pour éviter les ennuis. Ils se baignaient
dans les cours d’eau, dormaient sous les arbres et ne s’aventuraient que dans
les plus petits villages lorsque la faim les tenaillait. Ils achetaient un plat
et du cidre dans une infecte taverne. Quand on leur posait la question, ils
prétendaient être des Bretons, frère et sœur, qui allaient rejoindre leur
oncle, boucher en Flandre. Ceux qui ne croyaient pas cette fable ne
souhaitaient cependant pas affronter Thomas, grand et fort, et qui faisait en
sorte que son couteau soit toujours visible.
Mais ils préféraient éviter les villages et demeuraient dans
les bois où Thomas apprenait à Jeannette comment attraper les truites.
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