La lance de Saint Georges
de
tête.
Scoresby regarda attentivement Jeannette. Il y avait en elle
quelque chose qui augmentait ses doutes.
— Pourquoi êtes-vous avec elle ? demanda-t-il à
Thomas.
— Je l’ai sauvée.
Une voix s’éleva en français du milieu de la foule. Thomas
ne pouvait voir qui parlait mais l’homme était entouré d’hommes d’armes portant
une tenue verte et blanche.
— Il dit qu’il vous a sauvée, madame, est-ce bien
vrai ?
— Oui, dit Jeannette qui ne pouvait apercevoir celui
qui lui posait cette question.
— Apprenez-nous qui vous êtes, demanda l’inconnu.
— Je m’appelle Jeannette, comtesse douairière
d’Armorique.
— Qui était votre mari ?
La voix était celle d’un jeune homme, mais d’un jeune homme
très sûr de lui.
Le ton de la question heurta Jeannette, mais elle y
répondit :
— Henri Chénier, comte d’Armorique.
— Et pourquoi êtes-vous ici, madame ?
— Parce que Charles de Blois a enlevé mon fils !
répondit Jeannette d’une voix courroucée. Cet enfant a été placé sous la
protection du roi d’Angleterre.
La voix se tut un instant. Dans la foule, certains
s’écartaient nerveusement des hommes d’armes qui l’entouraient, et Scoresby
paraissait inquiet.
— Qui l’a placé sous cette protection ? demanda
finalement la voix.
— William Bohun, comte de Northampton, dit Jeannette.
— Je la crois, dit la voix.
Les hommes d’armes s’écartèrent afin que Thomas et Jeannette
puissent voir qui leur parlait. C’était un tout jeune homme. Thomas se
demandait même s’il se rasait déjà. Mais il était sûrement pleinement développé
car il était grand – encore plus grand que Thomas – et s’il était
demeuré invisible, cela tenait seulement aux plumets qui surmontaient les
heaumes de ses hommes d’armes. Il avait les cheveux blonds, un visage
légèrement hâlé et portait des braies et une chemise en toile. Rien d’autre que
son haut rang ne pouvait expliquer pourquoi, soudain, les hommes
s’agenouillèrent sur l’herbe.
— À genoux, siffla Scoresby à Thomas qui, perplexe, mit
un genou en terre.
Seuls Jeannette, le jeune homme et son escorte demeuraient
debout.
Le jeune homme regarda Thomas.
— Êtes-vous vraiment venu à pied depuis la Bretagne
jusqu’ici, demanda-t-il dans un anglais qui, comme celui de la noblesse, avait
un léger accent français.
— Nous sommes venus tous les deux, sire, répondit
Thomas en français.
— Pourquoi ? demanda-t-il avec rudesse.
— Pour demander protection au roi d’Angleterre, qui est
le gardien du fils de ma dame, lequel a été traîtreusement fait prisonnier par
les ennemis de l’Angleterre.
Le jeune homme porta ses regards sur Jeannette avec le même
air carnassier que celui qu’avait arboré Scoresby. Ce garçon ne se rasait
peut-être pas mais il savait reconnaître une jolie femme quand il en voyait
une. Il eut un sourire.
— Vous êtes la bienvenue, madame, je connaissais la
réputation de votre mari. Je l’admirais et je regrette que l’occasion de le
rencontrer au combat soit perdue à jamais.
Il s’inclina devant Jeannette, puis défit son manteau et
s’avança vers elle. Plaçant la cape verte sur ses épaules pour dissimuler la
robe en loques, il lui dit :
— Je m’assurerai, madame, que vous serez traitée avec
la courtoisie qu’exige votre rang et je vous certifie que les promesses que
l’Angleterre a faites à votre fils seront respectées.
Et il s’inclina une nouvelle fois.
Jeannette, interloquée et charmée par les manières du jeune
homme, posa la question dont Thomas attendait la réponse :
— Qui êtes-vous, monseigneur ? demanda-t-elle en
faisant une révérence.
— Je suis Edouard de Woodstock, madame, dit-il en lui
présentant son bras.
Ce nom qui ne disait rien à Jeannette fut une grande
surprise pour Thomas.
— C’est le fils aîné du roi, lui murmura-t-il.
Elle mit un genou à terre, mais le jeune homme aux joues
fraîches la releva et la conduisit au prieuré. C’était Edouard de Woodstock,
comte de Chester, duc de Cornouailles et prince de Galles.
La roue du destin avait une nouvelle fois placé Jeannette au
plus haut.
La roue semblait indifférente au sort de Thomas. Il restait
seul, abandonné. Jeannette ne lui avait même pas adressé un regard en
s’éloignant au bras du prince. Il l’entendit rire. De loin, il la contempla. Il
l’avait soignée, l’avait nourrie, l’avait
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