La lance de Saint Georges
s’accrochait au bras de Thomas, terrifiée par ces
visages inamicaux. Thomas se sentait également mal à l’aise. Lorsque les choses
allaient mal en Bretagne, que les hellequins grommelaient, qu’il faisait froid
et humide, que le temps était pourri, Skeat aimait à dire « Soyez heureux
de ne pas être avec Scoresby », et maintenant, à ce qu’il semblait, Thomas
était avec lui.
— Les déserteurs, nous les pendons, dit le gros homme
avec délectation.
Thomas remarqua que toutes les troupes qu’il apercevait dans
le village portaient la croix de saint Georges sur leur tunique. Une grande
foule d’entre eux était assemblée dans une pâture qui s’étendait entre l’église
du petit village et un monastère cistercien, ou un prieuré, qui avait réussi à
échapper à la destruction car les moines en robe blanche assistaient un prêtre
qui disait la messe devant les soldats.
— C’est dimanche ? demanda Thomas à l’un des
archers.
— Mardi, c’est la Saint Jacques, répondit l’homme en
ôtant sa coiffure par respect pour le saint sacrement.
Ils attendirent à l’extrémité de la pâture, près de l’église
où une rangée de tombes récentes suggérait que quelques villageois avaient
perdu la vie à l’arrivée de l’armée, mais la plupart avaient fui vers le sud ou
l’ouest. Il en restait un ou deux. Un vieil homme, courbé à force de travail et
pourvu d’une barbe qui descendait presque jusqu’au sol, marmonnait en suivant
les paroles du prêtre tandis qu’un petit garçon de six ou sept ans essayait de
tendre un arc anglais au grand amusement de son propriétaire.
La messe ayant pris fin, les hommes vêtus de cottes de
mailles se relevèrent et prirent la direction des tentes et des maisons. L’un
des archers de l’escorte de Thomas avait pénétré dans la foule en cours de
dispersion et réapparaissait avec un groupe d’hommes. L’un d’eux se détachait
des autres parce qu’il était plus grand et qu’il portait une cotte de mailles
toute neuve qui avait été astiquée et brillait. Il était chaussé de hautes
bottes, avait un manteau vert, une épée à garde d’or et un fourreau en tissu
rouge. Cette tenue d’apparat s’accordait bien avec le visage de l’homme qui
avait l’air fatigué et morose. Il était chauve mais portait une barbe divisée
en deux dont les extrémités étaient tressées.
— C’est Scoresby, murmura l’un des archers.
Thomas n’eut pas de mal à deviner de qui il parlait.
Scoresby s’arrêta à quelques pas et le grand archer qui
avait arrêté Thomas sourit d’un air suffisant :
— Un déserteur, annonça-t-il avec fierté, il dit qu’il
est venu de Bretagne à pied.
Scoresby jeta sur Thomas un regard dur et s’attarda plus
longuement sur Jeannette. Sa robe en lambeaux révélait la beauté de son corps
et il était évident que Scoresby souhaitait en voir plus. À l’instar de Will
Skeat, il avait commencé sa vie militaire comme archer et il s’était élevé à
force d’astuce, aussi Thomas se doutait-il que son âme était peu portée à la
pitié.
Scoresby haussa les épaules.
— Si c’est un déserteur, vous allez pendre cette
crapule.
Puis il ajouta avec un sourire :
— Mais nous garderons sa femme.
— Je ne suis pas un déserteur, dit Thomas, et cette
femme est la comtesse d’Armorique, parente du comte de Blois, le neveu du roi
de France.
Les archers s’esclaffèrent en entendant cette déclaration.
Cependant Scoresby était un homme prudent. Il avait remarqué qu’une petite
foule s’était rassemblée à l’extrémité du cimetière. Deux prêtres et quelques
hommes d’armes portant des écus armoriés se trouvaient parmi les spectateurs.
Et puis l’assurance de Thomas avait introduit un doute dans son esprit. Il
regarda Jeannette en fronçant les sourcils, ne voyant au premier abord qu’une
fille qui avait l’air d’une paysanne, mais malgré son teint hâlé elle était
manifestement belle et les restes de sa robe indiquaient que le vêtement avait
été élégant.
— Qui est-elle ? demanda Scoresby.
— Je vous l’ai déjà dit, répondit Thomas d’un ton
agressif, et je vais vous en dire plus. Son fils lui a été pris, et il est sous
la protection de notre roi. Elle est venue demander l’aide de Sa Majesté.
Thomas traduisit à Jeannette ce qu’il venait de dire et
celle-ci, à son grand soulagement, exprima son assentiment d’un hochement
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