La lanterne des morts
vilaines figures que c’était là… Pour les identifier, l’idée nous vint alors d’enlever quelqu’un… ou quelqu’une de ces gens. C'est une beauté. Elle prétend s’appeler Marie Toute Troussée.
– Si elle est toute troussée, on ne peut rien pour elle… constata Hyppolite, mélancolique.
O'Shea sembla soudain un peu nerveux:
– C'est une putain, une des deux putains de ces tueurs mais elle fut d’abord une jeune fille comme les autres, hélas violée et victime. Nous nous sommes trompés sur elle. Elle est si belle, si jeune, et cette sorte d’innocence qui est sienne nous parut perversion… Mais un prisonnier vendéen nous assura qu’elle ne participa jamais aux horreurs, se retirant en ces cas-là.
– Elle semble te faire grosse impression, John!… remarqua le général.
Il rougit et poursuivit:
– La pauvre… Ces ignoble tueurs l’appelaient «le meuble à plaisirs»… Quoi qu’il en soit, elle a reconnu les trois têtes comme appartenant aux gardes du corps de Blacfort: Gros-beauceron, Germain dit Gros-blond et Pétion dit Trempe-la-croûte.
– La vieille noblesse, en somme!… s’amusa Victoire.
– Et mis à part ces fleurons du Gotha 1 ? questionna Joachim.
– Nous n’avons hélas éliminé que les moins vigilants, ceux qui restent sont plus redoutables: Chapeau-ciré, Simon dit «la Douceur» et Lefèvre dit «Va-de-bon-cœur»… La putain qui demeure, Marie Trois Tours dite «la Grêlée», est aussi dangereuse qu’un homme.
Valencey d’Adana ne put s’empêcher de rire:
– J’imagine ce pauvre Nicolas en grande tenue de général vendéen organisant des soirées de poésie avec ces gueux-là. Je le vois, masquant sa nature atrabilaire et déclamant d’un air gourmé des niaiseries qui doivent faire bâiller ce public d’assassins et de putains. Mais on n’a jamais que le public qu’on mérite. Et ces têtes?
Mahé sourit:
– Les agents de la police secrète de Gréville qui sont ici au moins douze en permanence les ont installées dans un liquide conservatoire et l’un d’eux les emmène à Paris: j’imagine son succès aux auberges et relais!… Les Mayas nous ont également ramené un prisonnier anglais qui a avoué appartenir à cette opération, tu sais: quatre vaisseaux chargés de loups débarqués de nuit en Normandie pour décimer les troupeaux et affamer le peuple. Pas très beau. Il a été tué lors d’une tentative d’évasion… Je n’ai pas vraiment… enquêté. Vous combattiez les Anglais, ici, tous étaient très nerveux…
– Je comprends.
O'Shea et Hyppolite, peu raisonnables avec le champagne, à quoi s’ajoutait l’heure tardive, somnolaient à demi. Sur un signe discret de Mahé, Victoire et le général le suivirent à quelques pas tandis qu’il expliquait, le visage grave:
– J’ai autre chose à vous montrer, le véritable visage des soldats du Christ-roi.
Ils allèrent ainsi, salués par les sentinelles, jusqu’à l’infirmerie, deux grandes tentes, où était également installé un poste de chirurgie.
Le factionnaire salua puis un chirurgien portant une barbe grise les accueillit.
– Montre-nous les deux… essorillés, citoyen!… ordonna Mahé.
On réveilla deux jeunes soldats. À l’un, on ôta les bandages quand l’autre commençait à cicatriser. Ils souriaient gentiment, les visages jeunes et avenants, mais à tous deux, on avait coupé les oreilles.
– Blacfort?… demanda Valencey d’Adana.
– Égal à lui-même.
Au nom de Blacfort, un des jeunes soldats commença à trembler. Mahé tendit une bouteille au chirurgien.
– Bois-la avec eux.
Ils ressortirent et Mahé prévint à mi-voix:
– Celui-là que vous allez voir, c’est autre chose encore.
Il mena Victoire et Joachim dans le parc à chevaux. Un auvent avait été construit, on trouvait là de la paille fraîche.
Mahé interrogea la sentinelle:
– Est-il là?
– Au fond, citoyen colonel.
– Il dort?
– Hélas non. Le bruit de ses mâchoires… Que ne l’ont-ils tué?
Mahé ébaucha une grimace de dégoût:
– Leur plaisir n’y eût point trouvé son compte.
On approcha. De dos, on reconnut un soldat portant l’uniforme de la ligne 2 semblable aux deux précédents. Puis l’homme se retourna, provoquant un recul de surprise chez Valencey d’Adana quand Victoire frémit.
Très jeune lui aussi, très blond, il portait un licou et mâchonnait du foin, l’air hagard.
Mahé entraîna ses amis et expliqua:
–
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