La lanterne des morts
arrangé n’est point douteuse mais je compte que vous me mettiez dans le cas de faire connaître la vérité à qui de droit, le Comité de salut public.
On frissonna. Cet homme, à l’évidence, disait la vérité, ce qui signifiait que les représentants de la terreur allaient fondre sur la ville…
Il poursuivit:
– Deux choses encore: l’homme qui a voulu cet injuste procès et le lieu. Concernant Beaupin, ce n’est qu’un fripon contre-révolutionnaire qui cache sa nature en décrétant d’accusation les véritables patriotes. C'est un intrigant, un satellite de la tyrannie, un scélérat qui a une âme de boue. Sa corruption ne vient pas de l’or mais de son ambition démesurée et l’on chercherait en vain chez lui la moindre trace de vertu.
Beaupin allait répondre lorsque Valencey d’Adana balaya la future objection d’un geste large:
– Et ici!… Une salle tendue de draps noirs et éclairée par des flambeaux: c’est une «chambre ardente»!… Aucun drapeau républicain: nous sommes jugés par l’Inquisition. Je réfute la légitimité de ce tribunal digne des brigands de la Vendée!
Beaupin se mordit les lèvres. Il venait de commettre deux graves erreurs: s’inspirant en effet des «chambres ardentes» dans l’espoir d’impressionner les accusés, il prêtait le flanc à l’attaque de Valencey d’Adana. Et l’oubli de drapeaux tricolores n’arrangeait pas les choses…
Par la suite, Valencey d’Adana, Mahé et O'Shea interrompirent plusieurs fois Beaupin lequel, subissant à présent l’ascendant des prisonniers, ne cherchait pas même à les faire taire.
À la question de l’accusateur public:
– Pourquoi un officier tel que vous, Américain, se trouve-t-il en France?
O'Shea répondit:
– Mes amis ici présents savaient que je préparais un traité sur les monstres, les gnomes répugnants, les nains putrides: ils m’avaient signalé ton existence, citoyen Beaupin.
Beaupin attaqua alors sur le fait que, loin de leur navire, ces officiers étaient forcément déserteurs, allant jusqu’à s’égarer dans un long exposé sur la marine idéale. Valencey d’Adana lui jeta:
– Tu es un ignorant, tu ne sais pas même de quoi tu parles et n’entends rien à la marine.
– Silence, ci-devant capitaine!
– Halte-là, nabot: je suis toujours capitaine de vaisseau de la République quand tu n’es pas, toi, un ci-devant crétin!
D’abord satisfait, Beaupin fut pris d’un doute:
– Que veux-tu dire?
– Eh bien c’est fort simple: tu n’es pas un ci-devant crétin car crétin, tu l’es toujours. Et définitivement!
Cette fois, il y eut quelques rires.
– Je constate, remarqua Beaupin d’un air pincé, que ce mois de prison ne t’a guère assagi.
Valencey d’Adana n’attendait que cela.
– Pas davantage que ne m’assagit la Bastille 1 quand j’y fus enfermé par le Louis Capet, ci-devant roi de France.
Le président du tribunal, stupéfait, répéta:
– Tu fus enfermé à la Bastille par les despotes?
Valencey d’Adana haussa les épaules tandis que Mahé se dressait, accusateur:
– Oui, il le fut. Et Paris faillit se soulever pour le libérer!
– Mais qui es-tu, à la fin?… demanda le président, soudain fort inquiet.
– Je suis en mission secrète pour la Convention, je n’ai pas à répondre à cette question émanant d’un tribunal constitué d’un fou et d’une bande de lâches.
Mahé regardait son ami avec émotion. Ainsi était-il, toujours superbe, et surtout magnifique dans les causes perdues où l’on s’engage simplement pour la beauté du geste.
Il s’inquiétait cependant de la légèreté, certes très aristocratique, avec laquelle Valencey d’Adana acceptait sa mort prochaine et se souvint d’une de ses phrases: « L'appel de la mort est parfois plus séduisant que le cri de la vie.» Les vieux marins disaient de lui avec respect: «Il a l’âme envahie de brume.»
Le procès lui échappant, Beaupin exigea qu’on fît sortir les trois accusés.
Au dernier instant, Valencey d’Adana se pencha vers son avocat qui n’avait pas desserré les dents:
– Continue à dormir, dors beaucoup et longtemps: pour toi, spécialement pour toi qui as déshonoré ta charge, le réveil sera très brutal.
– Mais…
Moins de sept minutes plus tard, on fit revenir les accusés pour leur donner lecture du verdict de mort au motif d’«espionnage et activités royalistes».
Élégants, les trois officiers écoutèrent
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