La lanterne des morts
Paris par Chapeau-ciré, Gros-beauceron et Simon dit «la Douceur», il prit la direction d’Auxerre puis de Bourges, au sud. De là, il inclina sa route légèrement au sud-ouest par Châtellerault et Ruffec, presque sur ses terres.
Se trouvant au sud de la Vendée, par où on n’attendait certes pas un fugitif venant de Paris, il réfléchit sur le parti à prendre.
Jusqu’ici, on se trouvait dans l’incapacité de lui reprocher la moindre imprudence. Il allait, ainsi que ses compagnons, à une allure modérée quoique régulière et nul, dans les relais, ne se pouvait plaindre qu’il amena des chevaux harassés par la course.
Il observait la même prudence dans les auberges où il se restaurait et dormait avec ses compagnons faisant preuve, eux aussi, de la plus grande discrétion. On mangeait assez peu, buvait moins encore et aucun des quatre ne fit monter une servante en sa chambre, même si tous en mouraient d’envie.
Aux contrôles et barrages républicains, ils se présentaient comme négociants en vins, liqueurs et spiritueux descendant de Charenton vers le sud-ouest et transportant à cet effet de petites fioles et échantillons.
Un officier de la gendarmerie de Châtellerault interrogea le général vendéen clandestin sur son œil avec quelque insistance. Affichant un air modeste, et comme gêné de narrer un fait d’armes, Blacfort prétendit l’avoir perdu du fait d’un garde suisse le 10 avril 1792, lors de l’attaque des Tuileries. Et ses compagnons de confirmer la chose en citant des détails que ne pouvaient connaître que ceux-là mêmes qui participèrent à cette journée.
Au reste, ils y étaient tous, sauf Blacfort. Mais, loin d’attaquer la monarchie, ils pillaient et détroussaient les cadavres, qu’ils fussent suisses ou républicains mais davantage encore ceux de la garde du corps du roi, exclusivement composée de gentilshommes nantis d’or, bagues, montres et de chaînettes. L'officier de gendarmerie, convaincu et respectueux, salua et fit ouvrir le barrage.
Ayant obliqué sa route à l’ouest, Blacfort passa au nord de Saintes, puis remonta avec prudence vers les terres de Vendée.
Des jours de voyage!
Ils étaient fatigués et mouillés, la pluie tombant depuis le matin. Mais curieusement, davantage qu’un lit et un repas chaud, les femmes leur manquaient à tous les quatre. Leur désir se trouvait sans doute aiguisé par l’abstinence à laquelle ils se contraignaient quand tant de serveuses peu farouches ou de voyageuses volages croisées dans les auberges semblaient prêtes à se donner.
Entre chien et loup, ils arrivèrent dans un petit hameau dit «La Lanterne des Morts».
– Et pourtant, de lanterne il n’est point car on n’y voit rien!… remarqua Blacfort.
Ces paroles à peine dites, il aperçut une très jeune fille sortant d’une étable et entrant dans un pauvre logis où brûlait une chandelle.
Un regard échangé avec ses compagnons suffit.
L'enfant n’avait pas treize ans et ne put opposer aucune résistance lorsque les quatre hommes se jetèrent sur elle et que la malheureuse fut prise à même le sol, entre la table et le saloir.
Blacfort fut le premier en raison qu’ainsi était l’usage en cette lie de l’humanité que, même pour un viol, l’aristocratie avait préséance. Simon dit «la Douceur» fut le dernier car sa manière était telle, d’une si grande violence, que ses victimes en mouraient parfois, ce qui irritait fort ceux dont le tour n’était point encore venu.
Blacfort contempla sa victime, pantelante, demeurée sur le sol. L'entrejambe sanglant de l’enfant, à laquelle on venait de prendre sa virginité, exerça sur lui une bouffée d’excitation, d’un genre bien différent. En un instant, son long couteau de chasse à la main, il ouvrit totalement ce ventre dénudé en poussant un profond râle de plaisir.
En ayant achevé avec ce crime, un de plus, les quatre hommes se remirent en selle et bientôt décrut le bruit des sabots de leurs chevaux.
C'est alors qu’un homme sortit de la pièce voisine, un réduit où l’on entassait le bois coupé et rangeait les outils.
Il était âgé de quatre-vingt-une années. Un visage décharné. La jambe gauche lui manquait et il s’aidait d’une canne. Arrière-grand-père de la fillette venue lui préparer son souper et s’occuper des bêtes, il avait assisté à la scène derrière les cloisons dont deux planches, disjointes, lui permettaient d’y bien
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