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La lanterne des morts

La lanterne des morts

Titel: La lanterne des morts Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Frédéric H. Fajardie
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idée le paralysait.
    Il observa d’un air désolé les «Étrangers» et secoua la tête en entendant parler anglais, espagnol, créole…
    Quelle idée encore que celle-là!… À croire que toute cette histoire de défilé avait été organisée ou soufflée au Comité de salut public par d’habiles agents de la contre-révolution!
    Faire défiler des marins sur la terre ferme constituait bien entendu une aberration mais corser l’affaire en y mêlant des étrangers culminait en une manière de suicide.
    – Et ça jacasse, et ça baragouine dans tous les patois du monde!… Comment un Anglais et un Indien, un Nègre et un Espagnol arriveraient-ils à se comprendre et à saisir les ordres?
    Son voisin de gauche ayant surpris ses paroles et lui jetant un regard suspicieux, l’envoyé du Comité de salut public préféra changer de place.
    De plus en plus chagrin, il observa d’un air hagard les marins en files attendant de recevoir chacun trois œillets: bleu, blanc, rouge. Chimistes et teinturiers avaient passé la nuit à rehausser artificiellement certaines de ces couleurs et, si l’homme ne niait pas l’effet saisissant du résultat, il voyait surtout que dans cette entreprise le ridicule, voire le grotesque, allaient désormais s’attacher aux couleurs nationales.
    Il haussa les épaules:
    – D’un autre côté, des fleurs, pour un enterrement…
    Député proche de Robespierre, l’homme aurait à cet instant donné cher pour ne point avoir à accomplir aussi sinistre mission.
    Il regarda sa montre et pâlit de nouveau. Sa tâche était simple: monter en selle et galoper jusqu’à la tribune. Les gardes nationaux, prévenus de son passage, le laissant aller par les rues interdites.
    Soit, mais une fois devant Robespierre, qu’allait-il lui dire?
    Quelque chose comme: «Citoyen Robespierre, quitte immédiatement cette tribune pour t’éviter à toi-même, à la dignité de ta fonction et à la nation que tu représentes le ridicule de devoir accueillir une bande de marins désolants débouchant sur l’immense place de la Révolution dans le plus grand désordre.»
    Langage de vérité!…
    Mais gros risques personnels!…
    À présent qu’il se trouvait au pied du mur, les pensées du député avaient progressé. Fi donc, ce défilé raté et l’image désastreuse qu’il donnerait de la nation à l’étranger. Au fond, une seule chose importait: ne pas fâcher Robespierre, ne pas provoquer une de ses terribles colères intérieures!… Bref, s’occuper avant tout de ses propres intérêts en n’étant pas le funeste messager de cette forme de trahison certes sans malice, et qui ne se pensait pas comme telle, mais se trouvait cependant bel et bien réelle.
    Il n’est jamais souhaitable, en période de révolution, d’être associé, même de fort loin et très indirectement, à un quelconque acte de trahison. Surtout pendant la Terreur.
    Le député, un ancien avocat au reste assez vif et brillant, envisagea le problème tout autrement: que voyait-il?
    – Les hommes s’activent… Ils y mettent de la bonne volonté… Et pourtant, ce n’est guère facile… Toute cette mise en place… mais tous ont hâte de défiler!
    Et voilà!… Il en aurait dansé de joie. Tout, dans ce message, relevait de la plus stricte vérité. Pas l’ombre d’un mensonge. Cela, c’était juste avant le défilé. Ce qu’il en sera du défilé lui-même, voilà tout autre chose. D’ailleurs, il n’y assisterait pas.
    Il porterait la nouvelle, s’esquiverait, regagnerait immédiatement son logis de la rue du Pas-de-la-Mule, retrouverait sa femme et ses enfants. Chez lui, enfin, à l’abri!… Il s’y vit, poussant la porte ferrée ouvrant sur une salle basse, la table, les bancs, le dressoir, les quatre chaises à bras de cuir, les sept tabourets recouverts de vilaine étoffe pour les gamins et gamines, le tableau représentant le grand-père Jean-Nicolas procureur au Mans, l’étage et le grand lit où il s’enfouirait en prétextant un mal de dents.
    Étant passé de l’abattement profond à une joie presque exubérante, laquelle, ressemblant à de la ferveur patriotique, servait ses intérêts, il sauta à cheval et partit au galop porter la «nouvelle» à Robespierre.
    Gréville attendait au premier rang, à proximité de la tribune officielle. Informé le tout premier, comme il se doit, que les marins semblaient éprouver de grandes difficultés dans le départ du défilé, il ne ressentait

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