La Légion Des Damnés
amoureuse de moi. N'allons pas chercher les grands mots, Ursula. J'ai commis cette faute moi-même, mais tu m'as tenu si longtemps à distance, et tout à coup... C'est pour ça qu'il est si difficile de s'exprimer objectivement
— Et tu es si maigre et désaxé. Tu sais que tu cries en dormant ?
— C'est vrai ? Mais en dehors de ça, tout va bien !
— Peut-être. Mais je pense à ma vie qui va être infernale...
Subitement, elle perdit la tête, se jeta contre moi en sanglotant :
— Je ne veux plus que tu me quittes ! Je ne veux plus qu'ils te reprennent à moi, tu m'entends ?
— Non, non. Oui, oui...
C'était tout ce que je trouvais à dire. Je lui tapotais l'épaule et répétais : " Non, non. Oui, oui "au petit bonheur. Je n'y comprenais plus grand-chose.
Ce soir-là, elle revêtit une simple robe noire, très ajustée, avec, pour seule garniture, un collier de perles noires et vertes. Je savais que mon uniforme noir des chars d'assaut me conférait une sorte de macabre élégance encore accentuée par l'absence de toute décoration. Je remarquai avec un certain orgueil que les gens nous regardaient passer tandis que nous gagnions notre table.
Pendant que nous dînions, un lieutenant passa près de nous, laissant choir sur la table, juste devant moi, un morceau de papier plié. Intrigué, je l'ouvris et lus :
" Si vous êtes ici sans permission régulière, grouillez-vous de filer. La police militaire est dans le secteur. Si vous avez besoin d'un coup de main, vous me trouverez dans le hall. "
En plein accord avec Ursula, je décidai d'aller le remercier et lui dire, par la même occasion, que mes papiers étaient en règle.
Je l'aperçus aussitôt, qui fumait dans un coin du hall. Je me présentai brièvement, le remerciai et questionnai :
— Serait-ce indiscret de vous demander la raison de votre gentillesse ?
— Pas du tout. Mon frère est également dans les tanks. Hugo Stege.
— Hugo ! C'est un de mes meilleurs copains de la compagnie !
— Sans blague ? Une rencontre comme celle-là, ça s'arrose. Vous me permettez de vous inviter tous les deux, ce soir ? Je connais un endroit rigolo où nous pourrons aller après dîner.
Ensemble, nous rejoignîmes Ursula. Il était dans le génie et s'appelait Paul Stege. Quand nous nous quittâmes, après une nuit bien remplie, il nous donna un numéro de téléphone où nous pourrions l'appeler si nous avions besoin de quelque chose.
De retour dans notre chambre, nous prîmes tout d'abord le temps de fumer une dernière cigarette. L'aube était proche. J'allai relever les jalousies, puis allumai la radio. Il y avait généralement de la bonne musique à cette heure, un prétendu « programme pour le front ». Un orchestre symphonique, probablement le Grand Orchestre Philharmonique de Berlin attaquait le dernier mouvement des Préludes de Liszt. Hitler et Goebbels étaient allés gâcher jusqu'à cet émouvant morceau romantique en en faisant une musique de propagande pour leur saloperie de guerre. L'U. F. A. l'utilisait comme fond sonore pour ses bandes d'actualité sur les raids de la Luftwaffe.
C'était la Luftwaffe préparant le chemin pour nous autres les troupes blindées. C'était la Luftwaffe rasant le ghetto de Varsovie en trois jours et trois nuits d'épouvante. Une fois le calme revenu et la fumée dispersée, plus rien, sur cette vaste étendue, ne dépassait une hauteur d'un mètre cinquante. Sur plusieurs centaines de milliers de Juifs, une poignée seulement était ressortie vivante entre les cordons de SS hilares. Une poignée de Juifs et quelques millions de rats.
— Au rythme des Préludes de Liszt.
— Si tu fermais ça, suggéra Ursula. Ce morceau me porte sur les nerfs.
J'éteignis la radio et me déshabillai.
— Quelle journée merveilleuse. Et bientôt, il fera jour de nouveau. C'est presque une honte de dormir...
— Je crois que ce sera merveilleux de dormir un peu. Quelques heures seulement. Nous sommes fatigués, non ?
— Si la vie pouvait être toujours aussi merveilleuse. Manger quand on a faim. Boire quand on a soif. Juste assez pour se sentir léger et spirituel. Ouvrir les yeux et se retrouver bien éveillé, parce qu'un nouveau jour est là qui ne demande qu'à être vécu. Etre fatigué d'une bonne fatigue. Comme je le suis en ce moment. Je ne désire rien de plus au monde...
Ce n'était pas tout à fait exact. Je désirais lui ôter son collier. Et ses chaussures. Et sa robe. Cette
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