La Légion Des Damnés
que de l'eau, de l'eau noire, sauvage, puissante, terrifiante.
Et les requins ! Est-ce qu'il y avait des requins en Méditerranée ? bien sûr qu'il y avait des requins en Méditerranée ! Je me mis à flanquer des coups de pied à tort et à travers, mais fus rapidement épuisé et dus arrêter mon manège. Puis je pensai au Vieux, à Porta, et les appelai dans l'obscurité :
— VIEUEUEUEUEUX ! PORTAAAAA ! POR-TAAAAA!
Rien ne me répondit que le grondement des vagues et je recommençai à sangloter désespérément, appelant, dans ma terreur, ma mère et Ursula.
Brusquement, je me trouvai ridicule et m'engueulai copieusement :
— Garde ton sang-froid, sacré nom de Dieu !
J'éclatai de rire, glapissant comme une hyène, émettant des sons discordants qui n'avaient plus grand chose d'humain. Puis je parvins à me contrôler et continuai de sangloter. Toute la nuit, les vagues me chahutèrent, pitoyable épave vomissante et pleurnichante, mais obstinément cramponnée à la vie.
Etait-ce une voix qui criait dans l'obscurité ? Je tendis l'oreille. Oui, c'était bien une voix. Là ! Mais non. Foutaise. Ils étaient tous morts. Il ne restait personne. Personne que moi. Qui n'allais pas tarder à crever aussi. Tout seul, dans ce pot au noir. Tout le monde est mort. Ils ont autre chose à faire qu'à s'occuper de toi. Ce sont des salauds, des ordures. Il faudrait être fou pour attendre d'eux le moindre secours...
Pourtant, il doit bien y avoir quelqu'un . Survivre d'abord pour crever ensuite après des heures de souffrance et d'espoir, ce serait complètement ridicule ! Quand ils auront pointé leurs listes et découvert le nombre et l'identité des manquants, ils organiseront des recherches...
Des recherches pour rechercher qui ? Toi ! Un taulard ! Sans blague ?
Le jour se précisait. Cet objet, là-bas... Un homme cramponné à une bouée de sauvetage, tout comme toi ?
Allons donc, tu vois des choses qui n'existent pas, tu prends des désirs pour des réalités...
Mais c'était bien Porta. Avec un large sourire, il tira son vieux béret noir d'une poche intérieure et le mit sur sa tête pour me saluer.
— Quelle joie de vous rencontrer, mon cher ! Vous êtes descendu sur la plage, vous aussi ? Un peu humide, n'est-ce pas, mais un bain n'a jamais fait de mal à personne.
— Porta ! Espèce de sale vieux bâton merdeux !
J'étais à moitié cinglé, et ses yeux me disaient qu'il était dans le même état.
— Porta ! Tu ne sais pas où est le Vieux ?
— Si.
Il fit un geste large.
— Dans le cidre, comme tout le monde... Avec la gueule au-dessus ou au-dessous de la surface, alors, là, mystère !
Le temps d'attacher ensemble nos bouées pour ne pas risquer d'être séparés par quelque courant et Porta continua :
— Peut-être attendons-nous le même tramway, cher monsieur ?
Puis :
— Si seulement t'étais pas aussi maigre... Y a même pas de quoi se caler une dent creuse avec ta carcasse ! Mais ce sera marrant tout de même, dans cent ans d'ici, quand je raconterai à mes chers petits-enfants de quelle manière leur grand-papa Joseph a sauvé un jour sa précieuse existence, grâce à un sac d'os nommé Sven. Ça ne te remplit pas d'orgueil d'achever ta carrière héroïque dans l'estomac du meilleur soldat de notre Führer ? Dès que je serai rentré à la maison, je te ferai élever un monument. Tu l'aimerais en bronze ou bien en granit ?
Soudain, il poussa un rugissement et, désignant, à l'horizon, la silhouette d'un navire :
— Notre tramway !
Nous rivalisâmes d'ardeur vocale, mais le navire disparut.
— Fous le camp, eh ! minable ! conclut Porta, la voix rauque d'avoir tant gueulé. Même qu'y serait venu, on aurait refusé de grimper dans un rafiot pareil, pas vrai, Sven ?
La matinée s'écoula. Le soleil, quand il parvenait à percer les nuages, était cuisant, abrutissant. J'étais à demi mort d'épuisement, mais Porta discourait toujours :
— Prends les mouettes, par exemple : tout ça, ça les fait marrer. Si on avait des ailes, ce serait de la rigolade ; mais on est là le cul dans l'eau et y a rien à faire ! Tu passes une vie laborieuse à éviter soigneusement de t'approcher de la mer et la première chose que fait cette saloperie d'armée, c'est de t'y filer sans te demander ton avis. Comme je le dis toujours, y a pas d'avenir dans le métier de soldat. Promets-moi que tu seras jamais général, mon fils ! Si seulement le temps n'était pas
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