La Légion Des Damnés
soupira mélancoliquement :
— Ça va pas être marrant d'écrire à la femme, du Vieux. Je suis allé les voir quand j'étais en perme, et le Vieux et sa femme et son père et moi, on était d'accord pour dire qu'on se retrouverait tous dans six mois, parce que la guerre serait finie et la révolution consommée. Bon sang, j'espère que le Club Royal des Pirates-Mangeurs de Spaghetti l'aura repêché, lui aussi, et qu'il est maintenant dans une auberge napolitaine, en train de souiller sa réputation avec des filles de mauvaise vie !... Mais qu'est-ce que je raconte ? Bien sûr qu'ils ont repêché le Vieux !
Que ferait Rommel sans lui, en Afrique du Nord ? Y s'en tirerait jamais sans le Vieux, même avec nous pour le conseiller...
Une fois à Naples, nous fîmes un sacré boucan.
— Major ou pas, on s'en fout ! Plus d'armée pour nous jusqu'à ce qu'on sache où est le Vieux. C'est pas pour notre plaisir qu'on a été se faire torpiller et flirter avec les requins de la Méditerranée pendant des jours et des jours ! Le Vieux, c'est notre copain, et tant qu'on saura pas s'il est mort ou vivant, y aura pas plus de major ou de colonel que de beurre au chose ! On reste là et on en bouge pas. Faites-nous fusiller, foutez-nous en taule, on s'en contrefout !
Pour exposer les choses d'une façon modérée, nous avions au moins deux ou trois cases vides. C'était la réaction. Nous ne pouvions plus encaisser davantage. Ils se rendirent compte heureusement, de l'état dans lequel nous étions, et le major était un type bien. Nos rapports s'améliorèrent, du reste, lorsqu'il nous eut expliqué qu'il avait été dans l'autre transport de troupes et qu'il était passé lui-même, dans une certaine mesure, par tout ce que nous avions subi.
Lorsque le Feldwebel du dépôt d'habillement reconnut Porta, il se fendit d'un large sourire et lui serra la main. Nous lui exposâmes notre odyssée, et quand je lui demandai s'il n'avait pas entendu parler de Willie Beier, dit « le Vieux », il nous laissa chercher nous-mêmes notre fourbi dans son magasin et disparut à l'intérieur de son petit bureau.
Au bout d'un instant, il nous fit entrer. Il espérait avoir des nouvelles d'ici quelques minutes. Il nous offrit du schnaps et des cigarettes et nous demanda des détails sur le naufrage des deux navires et Porta lui répondit à peu près n'importe quoi. Nous étions trop impatients d'en avoir le cœur net et les quelques minutes paraissaient durer quelques heures. Nous avions l'impression que le Vieux devait être là, pas bien loin, et qu'on nous empêchait, exprès, de le rejoindre.
Le téléphone sonna.
— Allô, oui ?... Oui... Où ça ?... Merci.
Le Feldwebel se tourna vers nous. Je revois encore son sourire.
— Il est dans un des baraquements de la marine, là-bas, près du port.
Ce Feldwebel comprit, je l'espère, qu'il n'y avait ni ingratitude, ni grossièreté dans l'élan qui nous propulsa Porta et moi, vers la sortie, sans même que nous prissions le temps de le remercier. Mais en temps de guerre, un copain est quelque chose de très précieux, de très spécial. Quelque chose qu'on découvre dans la solitude apocalyptique de la Grande Pagaye, et qu'on sait pouvoir perdre d'une seconde à l'autre et dont on mesure aussi, pleinement, la valeur...
Les quatre ou cinq jours suivants s'écoulèrent fort plaisamment. A ne rien foutre. Nous allâmes rendre visite à Pompéi, ainsi qu'au Vésuve, dont le cratère était une victime toute trouvée pour la rhétorique de Porta.
Et puis, un matin, on nous chargea dans des avions de transport et adieu l'Italie. Douze appareils de même type volant en V, escortés par des chasseurs. La Méditerranée s'estompa derrière nous tandis que nous survolions, de très haut, des montagnes noires. De loin en loin, nous apercevions un lac, une ville. Nous fîmes deux escales avant d'atteindre notre destination, la ville de Wuppertal, en Westphalie. Nous marchâmes à travers la cité, jusqu'à la caserne d'Elberfeld. Là, nous fûmes refondus en trois compagnies — c'était tout ce qu'on pouvait faire avec les survivants — et dirigés ensuite vers le front russe pour être incorporés au 27 e Régiment (Disciplinaire) Blindé.
Le Vieux secoua la tête et dit avec mépris :
— Ne sois pas naïf, Hans. Tant qu'il restera des officiers à cheval sur la discipline, tout le monde fermera sa gueule et continuera de marcher au pas. Regarde un peu comment ça s'est
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