La Légion Des Damnés
jadis, un de mes dadas, et je me dirigeais fort bien avec l'aide des étoiles. Nous traversâmes une vaste forêt, atteignîmes un lac gelé. Nous touchions la rive opposée quand un soldat doublé de volume par ses fourrures nous héla. Sans autre résultat que d'accélérer encore notre course. Une douzaine de balles sifflèrent à nos oreilles, mais toutes, heureusement, se perdirent. Quelques minutes plus tard, nous gisions, haletants, sous le couvert d'épaisses broussailles.
Ce même soir, nous parvînmes à un groupe de chalets et trouvâmes une cachette dans une écurie où nous nous reposâmes pendant quelque vingt-quatre heures. Une poule imprudente nous servit de repas. Crue, naturellement. Nous n'avions pas à notre disposition les moyens de la faire cuire. Une autre étable nous recueillit la nuit suivante. Nous étions divinement bien, enfouis dans la vieille paille, et n'avions plus envie de bouger.
Dans l'après-midi du lendemain, des cris nous alarmèrent. Nous risquâmes un œil à travers les fentes du toit. Cinq soldats russes, accompagnés de deux molosses. Après une longue palabre avec les habitants de la ferme, les soldats se retirèrent. Nous attendîmes le crépuscule pour essayer de filer, mais le vieux nous aperçut et ne parut guère surpris de nous voir surgir de son étable.
— Prisonniers de guerre ? s'informa-t-il en mauvais allemand.
Signes de tête affirmatifs.
Il nous fit entrer dans la ferme et nous donna à manger. Dans la salle commune, dînaient un autre homme et quatre femmes. Ils nous accueillirent calmement et se poussèrent pour nous permettre de prendre place à leur table. Ils ne cessèrent point de nous observer à la dérobée, tandis que nous dévorions leur mouton et leurs pommes de terre bouillies. Mais personne ne nous adressa la parole.
Le vieux fermier nous laissa dormir dans la salle, afin que nous puissions nous reposer convenablement et, le lendemain matin, nous remit à chacun une vareuse et un pantalon capitonnés. Ces bons vêtements chauds et propres avaient en outre l'avantage inestimable d'être anonymes. Nous pourrions, désormais, voyager en plein jour sans risquer d'être immédiatement trahis par nos uniformes noirs. Nous nous séparâmes cordialement, à regret, de ces gens aimables et taciturnes.
Durant quatre jours, nous marchâmes vers l'ouest. Puis la chance nous abandonna : au sortir d'un petit bois, nous nous trouvâmes nez à nez avec des soldats russes littéralement jaillis du sol à notre approche. Es nous demandèrent nos papiers. J'essayai de leur parler danois. Sans succès. L'un deux comprenait un peu l'anglais et je parvins à lui expliquer que nous étions danois, que les Allemands nous avaient emprisonnés dans un camp de concentration, puis embrigadés dans un régiment disciplinaire, mais que nous avions préféré déserter. Le commandant de l'unité russe à laquelle nous nous étions présentés avait décidé de nous envoyer à Moscou, mais sur le chemin de la gare de chemin de fer, nous nous étions irrémédiablement fourvoyés...
Ils s'entre-consultèrent longuement à voix basse. Je ne comprenais pas le russe, de toute manière, mais il était visible qu'ils ne me croyaient pas. Finalement, ils nous conduisirent auprès de leur commandant. En chemin, l'un deux aperçut ma montre-bracelet, et l'instant d'après, je n'avais plus de montre-bracelet. Un autre me confisqua la chaîne d'or qu'Ursula m'avait donnée. Le commandant de leur unité nous traita correctement et nous soumit à un long interrogatoire. Il nous demanda si nous étions communistes et nous répondîmes affirmativement. Membres du parti ? Non. (Il n'était pas impossible que la chose pût être vérifiée.) Le commandant nous reprocha de n'avoir jamais pris la peine d'adhérer au parti, mais l'essentiel était que nous fussions de bons communistes.
Le lendemain, nous prîmes le train pour Moscou, en compagnie de deux soldats chargés de nous livrer entre les mains de la G.P.U., pour enquête complémentaire. Le voyage dura trente-six heures. Arrivés à Moscou, on nous enferma dans une grande salle dont les fenêtres grillagées donnaient sur un hall immense grouillant de soldats et de civils russes. Quelques-uns grimpèrent sur des bancs ou sur des bagages pour nous observer. Nous attendîmes plusieurs heures. Puis, cinq hommes de la G.P.U. armés jusqu'aux dents vinrent nous chercher et nous emmenèrent pleins gaz dans une grosse voiture de
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