La Légion Des Damnés
débarrasser de son uniforme. Puis il dut se rendre compte qu'il lui tenait chaud, ou finit simplement par s'y habituer, comme il s'habitua à sa ration quotidienne de schnaps.
Il prit ainsi quelques cuites mémorables. Vous pouvez qualifier ça de cruauté envers un pauvre animal sans défense, mais jamais Staline ne nous lâcha de plus d'une semelle, sa fourrure devint rapidement luisante, il engraissa et retrouva l'imprudence, le culot propres aux chats dont l'univers est stable et parfaitement en ordre.
A l'approche de Noël, ne restaient, du 988 e Bataillon de Réserve, que tout juste assez d'hommes pour former une compagnie, laquelle, d'ailleurs fut aussitôt démembrée. Nous reçûmes, tous les cinq, nos ordres de route pour Godnjo, sur la Worskla, où stationnait le 27 e Blindé. Trois jours plus tard, nous nous présentions au Q.G. de notre vieille unité, et le lendemain, nous remontions au casse-pipes. Auparavant, toutefois, on nous avait remis notre courrier.
J'avais tout un ballot de lettres d'Ursula et de ma mère. Chacun dévora ses lettres, les relut et les relut et finalement les lut à haute voix, au profit de tous les autres, pour mieux en rêver et s'en imprégner et les boire avec toute l'ardeur d'une âme qui a soif de présence et doit se contenter de mots écrits sur du papier. Dans une de ses lettres, Ursula me disait :
Munich, le 9 décembre 1942.
Mon grand chéri,
Je souffre avec toi de cette horrible injustice qui vous a été faite, à toi et tes camarades. Mais ne te laisse pas abattre parce qu'ils t'ont volé ta permission. Garde confiance en l'avenir, malgré toutes les saletés inventées par ces chiens. Bientôt, le cauchemar sera terminé, et la volaille nazie aura perdu toutes ses plumes.
Je prie Dieu de bien vouloir étendre Sa main sur toi, pour te protéger des horreurs quotidiennes du front. Bien que tu te qualifies de « païen », et que tu affectes de ne pas croire en Lui, je sais qu'il t'aime autant et plus que le meilleur de Ses prêtres, et quand la guerre sera finie, je saurai bien t'en convaincre et briser cette dure coquille de cynisme dans laquelle vous vous repliez, toi et tous ces pauvres bougres des unités sans volaille sur la poitrine. N'oublie pas y mon chéri, que, tôt ou tard, la paix reviendra, et que tous nos jolis rêves, alors, se transformeront en réalité.
Je pense, d'ici là, pouvoir ouvrir un cabinet à Munich où à Cologne, et mon grand espoir serait de te voir faire tes études spéciales de dentiste ou quelque chose dans ce goût-là. Promets-moi seulement de ne pas rester dans l'armée, même si l'occasion s'offrait à toi d'y faire une brillante carrière!
Dans six mois s'achèvera ma formation professionnelle de chirurgien et je pourrai mettre de l'argent de côté pour commencer à construire notre foyer. Le préparer, peut-être, en vue de ton retour.
Mais non, qu'est-ce que je raconte ? Je veux que tu reviennes beaucoup plus tôt que ça. Je voudrais que tu reviennes aujourd'hui. Tout de suite.
Papa et maman sont maintenant habitués à l'idée d'avoir un beau-fils. Au début, bien sûr, ils n'en sont pas revenus, et j'aurais voulu que tu voies la bouille de papa, quand je lui ai dit que tu étais un ancien taulard — c'est bien ça ? — et que tu servais à présent dans un régiment sans volaille. Il m'a crue piquée, sur le moment, mais il a pigé, ensuite, et quand je lui ai dit que ton « crime » était uniquement d'essence politique, il t'a accepté sans réserve, en disant que si nous nous aimions, rien d'autre ne comptait.
Je ne puis guère te parler de l'évolution politique, que tu dois connaître, j'en suis sûre, car vous devez être bien informés, là-bas aux premières loges! Je me console en me répétant que puisque nous serons bientôt réunis pour le reste de notre vie, une permission supprimée n'a peut-être pas tellement d'importance.
D'ailleurs, une permission, à ce stade, serait également une forme de torture, car je penserais sans cesse à ton retour sur le front, à cette nouvelle séparation inévitable, et tu y penserais aussi, j'en suis sûre.
Je t'envoie sous ce même pli une petite croix d'or. Je la porte accrochée à mon cou, directement sur la peau, depuis mon enfance, et je veux que tu la portes à ton tour, comme je l'ai fait. Elle te protégera, là-bas, de tous les maux qui peuvent te guetter. Embrasse-la chaque soir comme j'embrasse la bague que tu m'as donnée. Mon chéri, mon
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