La Légion Des Damnés
Sven adoré, je t'aime tant que j'en ai mal et que je pleure de joie à la pensée que nous allons nous retrouver bientôt et que je ne te laisserai plus jamais repartir. Tu es à moi, rien qu'à moi, à moi toute seule.
Même si tu tombes un peu amoureux, de temps en temps, d'une fille russe ou d'une des femmes allemandes qui accompagnent les convois de troupes. Car je sais que tu ne pourras jamais en aimer une autre comme tu m'aimes, moi. Et je te pardonne d'avance d'embrasser d'autres femmes et de trouver un moment d'oubli entre leurs bras. Je ne te demande pas de vivre comme un moine. Seulement de ne jamais t'embarquer dans quelque chose que tu n'oserais pas me raconter.
Tu ne peux pas savoir combien j'ai pleuré quand ce merveilleux copain que tu t'es fait là-bas — le Vieux — m'a écrit pour me dire que tu avais été tué. C'était la lettre la plus belle, quoique la plus triste, que j'aie jamais reçue. Et pourtant, ce n'était rien à côté de ce que j'ai ressenti quand j'ai reçu, onze mois plus tard, ta propre lettre m'apprenant et me racontant ta captivité. Je me suis évanouie pour la première fois de ma vie. Ma température est montée en flèche et j'ai dû passer une semaine au lit. Quel effondrement, mes aïeux ! Mais au plus fort de ma fièvre, j'étais heureuse, heureuse!
Tu dis que tu ne crois pas en Dieu, mais je sais que c'est Lui qui n'a jamais cessé de veiller sur toi, parce que tu es un type bien, comme tous les copains. Tu as tes défauts et tes faiblesses, mais tu es plus humain, plus pur de cœur et d'âme et plus honnête dans tes pensées que la plupart des piliers d'église, grenouilles de bénitier, crapauds de confessionnal. Dis-toi bien que je partage ta haine de l'hypocrisie sous toutes ses formes, et de ces prêtres qui ne sont que des larbins serviles à la solde de maîtres non reconnus par Dieu et les vrais Chrétiens.
Mais Celui qui prêche la miséricorde ne peut empêcher ces hypocrites d'être là, et tu ne dois jamais penser qu'en écoutant ce qu'il a à nous dire, tu fais cause commune avec ces prêtres indignes. C'est ce que je veux à tout prix te faire comprendre et je suis certaine qu'un jour j'arriverai à t'en convaincre.
Il faut que je m'interrompe à présent, mon amour, mon mari aimé, en te demandant de bien faire attention à toi. Je sais que c'est difficile, mais je te supplie de ne pas trop te laisser contaminer par cette cynique indifférence qui caractérise les soldats de première ligne, dont tu es. Continue de croire qu'il y a aussi de la bonté, quelque part dans le monde. Fais le maximum pour te garder intact, à mon intention. C'est vivant que je veux te récupérer. Entier. De corps et d'âme. Et puisse cette nouvelle année qui approche nous apporter la chance et le bonheur, à nous et au reste du monde.
Ta femme toute à toi Ursula.
Nous escomptions la relève pour le réveillon de Noël, mais nos espoirs furent déçus. Et qui plus est, on nous promut fantassins pour les besoins des combats de première ligne.
Le soir de la Nativité me trouva quelque part dans le no man's land, au fond d'un des trous creusés à intervalles réguliers d'une cinquantaine de mètres. Le rôle de ces postes avancés était de donner l'alarme au cas où des patrouilles ennemies se risqueraient dans nos lignes. Mais si consciencieusement que l'on montât la garde, l'ennemi s'infiltrait chez nous et repartait le plus souvent sans avoir été signalé. C'était seulement quand le jour se levait que nous nous en apercevions... en découvrant quelques-unes de nos sentinelles avec la gorge tranchée. Ou bien en ne retrouvant qu'un trou vide, les Russes ayant surpris et emmené son occupant.
Ce soir-là, nous avions tiré au sort les différents tours de garde. Von Barring n'avait pas voulu, en cette nuit de Noël, distribuer des ordres, à qui que ce fût. Horaires et emplacements avaient été inscrits sur des bouts de papier, et jetés pêle-mêle dans son casque. Toute la compagnie avait tiré un numéro. Et non seulement les simples soldats, mais aussi les gradés, y compris von Barring lui-même. Un de nos lieutenants devait ainsi prendre la garde de 22 heures à 1 heure du matin.
Je passai donc mon réveillon dans une tranchée individuelle au cœur du no man's land. Devant moi, sur le bord du trou, gisaient mes grenades et ma mitraillette.
Le pire ennemi, dans ces cas-là, c'est le sommeil. Non seulement la tension permanente nécessaire pour
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