La Légion Des Damnés
d'explication. Quand le train s'ébranla, une immense ovation fit trembler ce qui restait des vitres de la gare.
A une heure quelconque de la nuit, le convoi s'arrêta en gare de Mogilev. L'agitation s'était calmée. La plupart des grivetons pionçaient en rêvant à leur perme. Pour beaucoup d'entre eux, c'était la première depuis des années.
Avec une secousse, le train redémarra. Fit quelques dizaines de mètres et stoppa de nouveau. Peu de temps après, des hurlements fracassèrent le silence de la nuit et, presque simultanément, les portières de notre wagon s'ouvrirent. Des policiers militaires casqués grimpèrent à bord en gueulant :
— Tout le monde dehors avec équipement et bagages. Les permissions sont supprimées. L'offensive russe a crevé nos lignes. On va vous grouper en un bataillon de réserve provisoire et vous remontez au baroud !
Une clameur effroyable s'éleva, qui traînait les cognes dans la boue et leur conseillait d'aller se faire foutre ailleurs, eux et leurs blagues à la godille.
Mais ce n'était pas une blague. Ensommeillés, furibonds, il fallut bien évacuer le convoi et revenir se former en deux groupes sur le terre-plein de la gare de Mogilev. A gauche, l'artillerie et les tanks. A droite, tous les autres, infanterie, aviation, marine, n'importe quoi. On nous reprit nos ordres de perme ; puis retentit le fatal commandement :
— Colonne... à droite... DROITE. En avant... MARCHE !
Nous marchâmes toute la nuit. Lourds de fatigue et de fureur et de déception. Dans la neige et le vent qui nous sciait la gueule. Nous n'arrivions pas à croire totalement qu'on allait nous faire cette vacherie. On ne joue pas des tours pareils à des soldats. On ne les refout pas du haut en bas d'un train qui les emmène vers une permission durement gagnée. On ne leur reprend pas leur eldorado, leur terre promise, pour les renvoyer sur le front à leurs lance-flammes et à leurs canons et aux canons de l'ennemi. C'était un coup à détruire le peu de force morale et d'esprit combatif que certains d'entre nous pouvaient posséder encore.
Six jours de marche dans la neige et la neige et la neige. Puis un premier engagement avec des effectifs ennemis, un peu au nord du village de Lischwine. Curieux d'entendre les obus s'enfoncer dans la neige, avec un drôle de bruit mou ! Lentement, le front pliait sous la pression constante de l'infanterie russe qui progressait, inexorable, sans souci des pertes subies. Lentement, sûrement, nos formations provisoires se dissolvaient et glissaient vers l'anéantissement.
Nous qui n'avions rien à faire chez les Soviets, nous ne pouvions contenir la poussée de ces gens déterminés à nettoyer leur pays de notre présence. Ils avaient pour eux ie droit moral, en ce sens qu'ils se défendaient vraiment contre un agresseur. Hitler prétendait, lui aussi, que nous nous défendions contre un agresseur. Attaque préventive ! Mais ce n'était qu'un artifice de propagande. Les Russes, eux, savaient qu'ils repoussaient une offensive caractérisée.
Notre unité s'appelait le 988 e Bataillon Territorial de Réserve, et la grosse blague était qu'il renfermait des représentants de toutes les sortes d'armes, depuis la flotte jusqu'à l'aviation en passant même par la garde civique, mais un seul, un unique territorial ! Tous les uniformes s'y coudoyaient, tous les insignes y figuraient, tous les écussons, tous les emblèmes. Nous avions, toutefois, une chose en commun : la haine que nous inspirait le 988 e Bataillon de Réserve. Nous brûlions, tous, de rejoindre nos propres unités.
Un nouvel et très dur engagement se produisit à l'est de Volkov, engagement dans lequel les Russes lancèrent de nombreux tanks et chasseurs-bombardiers. Dans une maison en ruine, nous trouvâmes un chat roux, perché sur une carriole, qui miaulait de froid, d'effroi et de faim. Nous lui fîmes boire, de vive force, une gorgée de schnaps avant de lui donner à manger. Quand nous quittâmes la maison, il partit avec nous. Comme il était rouge, nous l'avions baptisé Staline.
Staline fit toute la campagne de Volkov assis sur le sac au dos de Porta. Pluton et Stege lui fabriquèrent un uniforme complet, pantalon, vareuse et képi, ce dernier fixé à l'aide d'une mince ficelle afin qu'il ne le perdît pas dans la bagarre. Appartenant à un régiment disciplinaire, Staline n'avait évidemment pas le droit de porter la volaille nazie sur la poitrine. Au début, il essaya de se
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