La Légion Des Damnés
prestige égal à celui de Moscou, d'Odessa. Trois cent mille de ses habitants furent tués. Ainsi que l'annonça fièrement le général Zeitzler dans un ordre du jour, Kharkov fut restlos vernichtet.
Implacablement détruite.
« Je le sais, mon cher Beier, je ne le sais que trop bien... »
Von Barring secoua désespérément la tête, et posa sa main sur l'épaule du Vieux.
— C'est impossible et nous le savons tous. Ce n'est plus de la guerre, c'est du suicide collectif. Nous devons faire la guerre avec l'aide d'enfants et de vieillards. Mais vous devez vous rendre compte que ce n'est pas marrant pour eux, les pauvres bougres, d'être expédiés comme ça, sans entraînement préalable, au plus fort de la bagarre. C'est pourquoi je vous demande d'être chic avec eux. S'il s'agissait de votre père ou de votre frère cadet vous auriez un peu de considération pour eux. Vous auriez cafouillé, vous aussi, à quinze ou seize ans ! Alors, si vous voulez faire quelque chose pour moi, je vous le répète, ménagez-les. Aidez-les à trouver leur aplomb, dans toute la mesure du possible. Les choses sont déjà terribles pour eux, ne les empirons pas encore par trop de rudesse. Nous en avons tous marre, je le sais, mais ils n'y sont pour rien, ils n'ont pas mérité ça... La seule chose qui me console, c'est que tous les fonds de tiroirs doivent être raclés à présent et que la guerre ne pourra pas aller beaucoup plus loin, faute de gens pour la faire...
Porta se mit à rire.
— Croyez pas ça, capitaine. Bientôt, ils vont nous envoyer les filles. Est-ce qu'on pourrait pas demander un petit assortiment de starlettes ? Je me porte volontaire pour les instruire. Je connais quelques exercices très stimulants, dans la position couchée.
— Porta, je vous nommerai instructeur de la section cinématographique féminine, si jamais les choses en viennent là, coupa von Barring, souriant. En attendant, pensez à ce que je viens de vous dire. C'est une simple suggestion de ma part, mais je sais que vous n'êtes pas endurcis au point de ne pas pouvoir la suivre.
Le train blindée
APRES l'évacuation de Kharkov, les restes du 27 e Régiment furent expédiés à Dniepropetrovsk pour être affectés au maniement du train blindé « Leipzig ». Dès que nous fûmes installés, nous poussâmes, m compagnie d'un autre train, jusqu'à Kharol, à cent kilomètres à l'ouest de Poltava où nous fîmes quelques tirs d'exercice, afin de nous habituer à nos nouveaux canons. Nous étions évidemment tous les cinq dans le même wagon commandé par le Vieux. Porta avait la charge des huit mitrailleuses et des trois canons automatiques. Stege occupait la tourelle n° 1, et moi la tourelle n° 2, équipées chacune d'un long canon de 120 millimètres. Pluton était à la radio et aux communications. Nous disposions d'un équipage de vingt-cinq recrues, titulaires de quatre semaines d'instruction accélérée. Le plus jeune avait seize ans, le plus vieux soixante-deux. Ils formaient, à eux tous, un tableau pitoyable.
Nous remontâmes vers le front sans bien connaître notre destination. Près de Lwow, nos canons pulvérisèrent un village et engagèrent un duel avec l'artillerie russe. Puis nous filâmes vers le sud-ouet, couvrant nuit et jour des centaines de kilomètres de voies ferrées, ne stoppant que pour refaire le plein d'eau et de mazout, ou laisser passer un train arrivant dans la direction opposée. Nous pouvions nous allonger et dormir dans notre wagon et nous étions heureux comme des coqs en pâte. A condition de pouvoir roupiller de temps en temps, la guerre, après tout, n'est pas si terrible. C'est le manque de sommeil constant qui la rend intolérable et finit par vous taper sur le système !
A Krementschoug, nous nous baladions sur les voies de la gare de triage quand une femme se mit à crier :
— Sven ! Sven !
Stupéfaction générale. Il y avait là un train-hôpital en attente, et, penchée à l'une des portières, une infirmière m'adressait de grands gestes...
— Sven ! Viens ici me dire comment tu te portes !
C'était Asta. Elle me serra sur son cœur et m'embrassa. J'avais peine à la reconnaître, non seulement à cause de son uniforme, mais aussi parce qu'à l'époque où je l'avais connue, à Gothenbourg, elle avait été réservée et un peu ennuyeuse, quoique jolie. La guerre, visiblement, l'avait transformée. Il n'y avait plus aucune trace d'hésitation dans ses gestes, dans son
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