La lumière des parfaits
frères templiers, l’autre sur l’Ordre. Pourtant, le concile de Vienne, en l’an 1311, sans conduire à l’hérésie des Templiers, avait décrété sa suppression, sans jugement ni condamnation.
Jacques de Molay et plusieurs frères-chevaliers avaient alors formulé un recours auprès du pape lui-même. Pour toute réponse, ils avaient été déferrés de leur cachot, à Paris, pour comparaître, en mars de l’an 1314, par devant trois autres cardinaux dûment choisis par le roi Philippe. Après audition, la sentence ne les avait pourtant condamnés qu’à en être enferrés à vie.
Le drame s’était dénoué lorsque Jacques de Molay, le grand maître, et Geoffroy de Charnay, le précepteur de Normandie, révoltés contre cette sentence, étaient revenus sur leurs aveux et avaient tout nié en bloc.
Aussitôt considérés comme relapses, ils avaient été remis entre les mains de la justice séculière et, conformément aux règles de procédure, conduits sur le bûcher en l’île aux Juifs, sous l’œil vigilant du roi Philippe, de la cour, et sous les clameurs cruelles d’une foule friande de ce genre de spectacle. Ils avaient été brûlés vifs, sans jamais avoir révélé le secret dont ils étaient dépositaires.
Deux ans plus tard, le pape Clément passait les pieds outre. À peu près en même temps, le roi Philippe le Bel avait succombé à une fièvre tierce à la suite d’une chasse à courre.
La malédiction lancée par le grand maître, avant que la fumée n’étouffe ses poumons et que les flammes ne saisissent son corps décharné, avait fait ses premières victimes.
Ce fut ainsi que, au fil de mes investigations livresques, je parvins à cette intime conviction : le Livre Sacré des hérétiques albigeois et le parchemin dont le grand maître teutonique, Winrich von Kniprode, m’avait, d’étonnante façon, donné accès, ne faisaient qu’un. Ils dévoilaient le plus grand secret de tous les temps : le secret du Saint-Graal, le secret de la Vie et de la Mort .
J’étais, à mon tour, dépositaire de ce secret d’une inestimable valeur. D’un secret qui, j’en étais vraiment convaincu à présent, risquait d’embraser l’Occident et l’Orient, s’il en était connu. Ma vie pesait de moins en moins lourd face à la redoutable puissance des grands de ce monde.
J’en vins à craindre pour elle ainsi que pour celle de mon épouse et de nos enfants. Quand on soulève le couvercle de la boîte de Pandore, ne doit-on pas redouter le pire ici bas ? Surtout si Lucifer, l’ange déchu, arme de ses sortilèges maléfiques le bras des hommes.
Nous étions rendus à l’été de l’an de grâce 1361, toujours encourtinés près du roi Jean qui se plaisait à montrer qu’il était entouré de loyaux et féaux chevaliers.
Bien évidemment, nous n’étions que rarement conviés aux conseils réservés aux grands chambellans et aux pairs de France. Et de moins en moins souvent à des chasses royales en forêts de Fontainebleau, de Rambouillet ou de Compiègne. On en vint à regretter la fraîcheur des bois, car une chaleur torride écrasait la capitale d’une chape de plomb.
Le roi Jean nous informa tout de même qu’il nourrissait de grands projets avec le Saint-Père, le pape Innocent, sixième du nom.
Ils étaient convenus de lever une armée considérable pour partir à la reconquête de la Terre sainte. En un magnifique pèlerinage Outre-Mer, dont il prendrait le commandement avec le titre ronflant de capitaine général de la Chrétienté en marche vers le tombeau du Christ ! Où les rejoindraient tous les princes de la Chrétienté ! Entendait-il ainsi se rédimer de l’humiliante défaite de Poitiers où il avait fait preuve de bien médiocres talents de chef ? Ou occuper loin du royaume les soudoyers des Grandes Compagnies de routiers qui se soldaient sur l’habitant, faute d’être soldés par l’Angleterre, la France ou la Navarre ? Aucune de ces deux motivations n’était exclue, mais elles étaient sensiblement aussi probables l’une que l’autre.
Nous partirions l’été prochain, au mois d’août, pour la cité papale d’Avignon.
Le roi Jean exigea que nous dépêchassions des chevaucheurs vers le Pierregord pour informer les nôtres des nobles raisons qui nous retenaient près de lui, les prier de les comprendre, leur demander d’écrire sur nos familles et sur la façon dont la comté s’apprêtait à
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