La lumière des parfaits
l’archiprêtre qui était de la bataille du roi Jean.
— Comment espérez-vous les sorçaindre, messire du Guesclin, s’enquit l’un de nous.
— Pour écraser une révolte dans l’œuf, il faut toujours repérer le meneur et le circonvenir par l’épée ou par la finance. Les autres le suivront, car ils sont forts en gueule, mais faibles en courage. Sans parler des idées. Ils suivront comme des chiens le chef de meute.
« Ce jour, ils fraternisent et se regroupent, vivent sur le dos de l’habitant, commettent les pires violences. Ils rançonnent, pillent, violent, brisent les dents, tranchent mains ou doigts, nez et mentons, crèvent les yeux des paysans s’ils ne leur livrent pas bétail, volailles, œufs, lard et pain.
— Les femmes, les enfants ? s’enquit avec grande naïveté Gui de Salignac.
— Une compagnie entière est capable de violenter le corps des pauvres femmes ; avant de les passer au fil de l’épée. Quand elles vivent encore. Quant aux enfants, ils les enlèvent et, selon leur instruction ou leur humeur, en font des pages ou des esclaves à leur service.
— Seuls les gens et les biens d’Église sont épargnés, se rassura Onfroi.
— Que nenni ! Détrompez-vous. Les prêtres, les évêques, les prélats sont présumés vivre grassement. Bien souvent à tort, à ce que je vois en Normandie ou en Bretagne. Les routiers lutinent les religieuses en leurs couvents, leurs abbayes, leurs monastères ; pillent ciboires et calices, reliquaires, chandeliers, chapes d’or.
« Tout est bon pour assouvir leur goût de luxure et de possession charnelle. Ces soudoyers ont toujours été et resteront des fléaux.
— Tu les connais bien pour les avoir souvent fois combattus. Comment comptes-tu procéder pour mettre fin à leurs exactions ? lui demandai-je.
— Les éloigner, et ils reviendront ; les occire et ils ressusciteront tant que nous serons en paix. C’est bien le problème. J’ai ouï-dire que le roi Jean avait pris langue avec notre pape Innocent pour lever toute une armée et les emmener guerroyer en Terre sainte. Une illusion. Je crains que nous ne puissions que les solder au sein d’une armée régulière. Le dauphin Charles m’a dit qu’il s’employait à œuvrer dans ce sens.
— Une armée permanente doit percevoir une solde, Bertrand. Comment la financer quand les caisses du Trésor sont vides et que nos provinces sont saignées à blanc pour bailler la rançon du roi Jean ? lui demandai-je.
— Vois-tu, Petit, je pense que le solde de la rançon ne sera jamais baillé au roi d’Angleterre. Un jour ou l’autre, les nobles et les bourgeois qui en sont les principaux bailleurs se révolteront.
« Mais le temps de bouter le Godon hors du royaume n’est point encore arrivé. Un travail de longue haleine. Un travail auquel j’entends consacrer ma vie, avec l’appui du dauphin. Un homme qui est tout le contraire de son père. »
Ces paroles nous plongèrent dans un profond désarroi. Lorsqu’il vit nos visages chafoins, Bertrand du Guesclin tenta de nous conforter :
« Voyez-vous, mes amis, j’ai échoué il y a peu. Je me suis heurté à une compagnie sous les ordres d’un capitaine que vous avez connu, Hugues de Calveley.
— Hugues de Calveley ? Celui que nous avons capturé à Montmuran ? nous égosillâmes-nous en chœur.
— Bouillonnant de rage contenue, j’ai dû me rendre à ce Saxon. Il nous avait tendu une embuscade à ma façon. À bout de forces, j’ai dû m’incliner. J’y ai perdu trois cents de mes amis, de mes compains d’armes, avoua-t-il en se signant.
— Oh !
— Nul n’est infaillible. Si me voyez en la Cité, ce jour d’hui, c’est parce que le roi Jean, sur le conseil du dauphin, a baillé ma rançon à la mi-juin, par ordonnance.
— Ah !
— En contrepartie, j’ai obtenu tous les pouvoirs pour réduire, purger, saigner ou bouter hors de France ces Grandes Compagnies de routiers. La tâche sera rude. Ils occupent châteaux et forteresses, mènent vie de grands seigneurs, chevauchent destriers et palefrois, s’enivrent des meilleurs vins de nos régions, disposent d’une domesticité à faire pâlir d’envie la cour de nos princes et de nos rois. »
Quelques vagues de rides marquaient à présent son front taillé à la serpe, et deux plis amers creusaient leur sillon des narines à la bouche.
Lorsque nous lui jurâmes de le rallier à première demande, il nous en
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