La malediction de la galigai
souvent été recouvertes par leurs pas, mais on observait, sans doute possible, que les plus récentes s'éloignaient du château. Les assaillants avaient donc laissé leurs montures quelque part, à moins qu'ils ne soient venus en voiture. Les traces se poursuivaient au-delà de leur carrosse, jusqu'au grand chemin vers Houdan. C'est là qu'il découvrit les marques de roues d'une autre voiture. Un carrosse attelé à quatre chevaux.
Pourquoi arriver en carrosse ? Louis y réfléchit en revenant à sa propre voiture. Une seule explication semblait plausible : ils n'étaient pas venus pour tuer Richebourg, mais pour le capturer et l'emmener. Il s'agissait d'un rapt. Dans ce cas, Richebourg était sans doute encore vivant. Mais où ? Pouvait-il se trouver prisonnier quelque part avec Gaston ?
Bauer l'avait suivi, et même si le Bavarois ne se montrait pas un grand logicien, lui aussi avait deviné.
â Ils l'ont emmené, bozieu , laissa-t-il tomber.
â Oui. à trois et avec l'un d'eux blessé.
â Quel rapport avec la disparition de monsieur de Tilly ? ajouta le Bavarois, persuadé que son maître avait tout compris.
â Je ne sais pas, Bauer, je ne sais pas⦠Mais je suis convaincu qu'il en existe unâ¦
Nicolas apparut.
â C'étaient bien les fers de son cheval, monsieur, lança-t-il.
â Je le pensais. Ils étaient venus en carrosse, qui attendait sur le chemin de Houdan. Nous ne découvrirons rien d'autre ici. Nicolas, conduis-moi dans cette ville. Je vais raconter tout au prévôt. Il viendra chercher le corps du domestique et le fera ensevelir. Je garde l'épée. Peut-être aurai-je l'occasion de la rendre à ce pauvre garçon.
*
Louis médita durant le trajet. Gaston avait disparu une semaine avant Richebourg. Ces deux absences pouvaient n'avoir aucun rapport, mais il n'y croyait guère. Les coïncidences étaient rares dans les affaires criminelles. Il fallait donc interroger cette Anaïs Moulin Lecomte. Peut-être Richebourg lui avait-il parlé de Gaston. Peut-être avait-il découvert quelque chose ? Mais alors, pourquoi ne pas l'avoir tué ?
En vue des murailles et du donjon de Houdan, ils longèrent la Vesgre jusqu'à la porte de Paris. La grand-rue qui conduisait à l'église était particulièrement animée en cette fin de matinée. Les chalands se pressaient devant les auberges, échoppes de marchands et boutiques d'artisans qui se serraient les unes contre les autres, toutes à pans de bois peints et encorbellements sculptés.
La montée vers l'église fut fastidieuse en raison des encombrements et de la peine des chevaux à tirer le carrosse. Les roues s'enfonçaient dans l'épaisse boue de déjection des animaux de trait, des chiens et des cochons errants. Le tout dans une puanteur intolérable.
Devant Saint-Jacques-et-Saint-Christophe, on leur indiqua le bâtiment de l'Audience où se rendait la justice. Le logis du prévôt Pierre Gerbé était mitoyen : une maison de deux étages aux colombages multicolores. Ayant été introduit par un maître d'hôtel, Louis trouva ce dernier dans sa chambre, une grande pièce confortable meublée d'un lit sur une estrade, de fauteuils en noyer, de chaises tapissées et de deux tables recouvertes de tapis. De grandes tapisseries de Rouen encadraient un beau vaisselier où était exposée l'argenterie.
Assis devant un cabinet de chêne à deux portes magnifiquement ciselées, le magistrat dictait un mémoire à son greffier.
Louis Fronsac se présenta et expliqua sa venue.
â Richebourg ! Et vous dites que vous avez trouvé le corps du vieux Thomas ?
Le prévôt, homme corpulent dans la cinquantaine, avec un double menton et un nez en marmite, vêtu d'un habit gris, portait épée. Il devait se déplacer difficilement, car il avait une canne près de sa chaise.
â C'était celui d'un domestique aux cheveux blancs, monsieur le prévôt. J'ignore s'il s'agissait de Thomas, répondit Louis.
â Ce ne peut être que lui ! intervint le greffier.
â Qui vous dit qu'il est arrivé malheux à monsieur de Richebourg ? (Comme la cuisinière de Gaston, il prononçait les eur en eux .) Ce garçon disparaît parfois plusieurs jours,
Weitere Kostenlose Bücher