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La Malédiction de la Méduse

La Malédiction de la Méduse

Titel: La Malédiction de la Méduse Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Érik Emptaz
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me pousse sur le siège et m’embrasse… « On est quittes maintenant ! Et pour votre visite, Madame elle dort, mais si vous voulez à nouveau écouter aux portes, c’est le moment, le gouverneur il fait une autre réunion présentement…
    — Tu es sûre ?
    — Demandez à vos oreilles et à vos yeux, moi je guette ! »
    Je suis troublé, mais j’obtempère et grimpe sur le fauteuil. Elle n’a pas menti. Le gouverneur et le commandant sont seuls, Schmaltz occupe la même place qu’hier et Chaumareys tient à la main une plume d’oie avec laquelle il semble raturer un document que je ne puis malheureusement pas identifier.
    « Bon, commandant ! Maintenant que nos listes sont établies, passons, voulez-vous, aux autres canots ! Sur chacun, il faut un ou deux officiers de marine, bien sûr, mais aussi des gens de terre. Les deux bataillons de la compagnie du Sénégal embarqueront sur le radeau mais il paraît que certains soldats se déclarent prêts à s’emparer des canots. Poinsignon a fait poster des sentinelles aux échelles et aux bossoirs avec ordre de tirer sur quiconque touche aux embarcations. Mais il n’a plus beaucoup de temps pour convaincre sa troupe de la solidité du radeau. Ces fantassins n’ont pas le pied marin…» Moi qui l’ai un peu plus, j’en ai assez entendu. Quand je descends de mon promontoire, ma charmante guetteuse a disparu.

CHAPITRE XI
    La Noiraude meugle à la mort et seuls les cochons l’entendent. Enfin ce qu’il reste des cochons. Car outre ceux qui déjà ont été transformés en salaisons et appréciés à toutes les tables, un pourceau au dos taché d’excréments et un autre, si blanchâtre qu’on le dirait bouilli, sont morts noyés. Ils flottent le groin dans l’eau noire et puante de la cale sous l’œil inexpressif de la truie et d’un verrat survivants. Tout à son meuglement la vache normande les ignore. Mais, malgré la pénombre, elle a bien vu les deux cochons morts. Elle ressent le même mélange de peur et de résignation qu’ont les bovins en instance d’abattage. Le choc des vagues qui taraudent l’arrière de la frégate couvre tout autre bruit. Pour l’heure, sur La Méduse , nul ne songe à boire de lait de vache, surtout pas le commandant qui est à nouveau saoul comme un cochon.
    Les moutons eux aussi sont mal en point. Leur cale est immergée, plusieurs se sont noyés et les survivants ne savent pas auquel des leurs se vouer. En cela, ils ne diffèrent pas beaucoup des autres occupants de la frégate où le sentiment général est à l’égal du ciel : maussade et inquiétant. Mon spleen est assorti. Je n’en sais pas trop la raison. Est-ce l’inquiétude du tumulte de l’évacuation à laquelle tout le monde se prépare à sa manière ? Ou est-ce cette femme de chambre ? Je lui ai volé un baiser seulement pour la faire taire et je me refuse à admettre que celui qu’elle m’a rendu ait pu le moins du monde me troubler. Est-ce tromper la mémoire de Gabriele que de ne pouvoir chasser le souvenir très présent de la bouche fraîche et rose de cette jolie négresse ?
    Dans les cales on s’est remis à pomper. Les officiers ; en dépit de leur désarroi, se refusent à renoncer sans avoir tout tenté. Ils misent sur la pleine mer du soir et incitent les bénévoles à jeter à l’eau tout un fatras pour alléger au maximum la frégate. Avec de grands cris poussés en chœur, on fait basculer par-dessus bord des malles, on vide des tonneaux d’huile, de vin et d’eau, on balance des tas de choses décrétées inutiles. Pas le bronze en pied de Louis XVIII, ni aucun des 14 lourds canons qui lui appartiennent. Leur largage allégerait pourtant sérieusement le navire ; mais il n’en est pas question. Pareil crime de lèse-majesté n’est peut-être pas nécessaire puisqu’on dirait bien que La Méduse est à nouveau portée par les flots. Ce n’est pas qu’une impression, des cris de joie et des vivats retentissent sur tout le navire. Entre la mer qui monte et le poids qui a baissé, le soulagement tant espéré s’est enfin produit. C’est la liesse et Corréard me tend un plein quart du vin distribué pour fêter l’événement : « Ça ne peut faire de mal après l’effort. En vidant des fûts, nous contribuons à alléger encore le bateau. À ta santé, mon vieux Savigny ! Et à celle de tous nos confrères de la Société des explorateurs du Cap-Vert ! »
    Je lève mon quart et nous

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