La Malédiction de la Méduse
pécheresse, hâtons-nous ! Je te fais grâce du Credo et du Confiteor , consacrons-nous à l’ Introït…» Angèle s’agenouille à même le sol, levant très haut son cul somptueux et rieur. Et Charbonnier s’enfonce en elle en se délectant de ces prières qu’il lui a apprises. Dans le tintement des perles, il s’active à grandes embardées, passant de l’infinie douceur à la brutalité : « C’est ta faute, c’est ta faute, c’est ta très grande faute…» L’abbé ahane. Son teint de cire a viré au cramoisi. Il agrippe maintenant les seins d’Angèle et en pince les bouts, « Foutredieu, moricaude, tu vas l’avoir, ta pénitence…» et il ne tarde pas à gicler presque douloureusement. « Ite missa est… ! »
Charbonnier, comme à chaque messe, se dit que c’est peut-être la dernière. Il sait que bientôt il devra regagner la France. Une flûte, La Loire , une corvette, L’Écho , un brick, L’Argus et une frégate, La Méduse sont parties de Rochefort et font route vers Saint-Louis. À bord de l’un des navires se trouve son successeur désigné en tant que notaire-greffier, un certain Picard. Pas un homme d’Église, un petit fonctionnaire de la marine. L’abbé est certes un peu amer à l’idée qu’on puisse le remplacer par un fonctionnaire besogneux, mais ce qui l’accable, c’est de devoir rentrer. Perdre sa charge n’est pas mortel, Charbonnier a mis suffisamment de biens de côté pour ne point s’en inquiéter. Mais regagner la France, jamais !
C’est décidé. Même si Saint-Louis n’est plus sa chapelle, l’Afrique restera son diocèse. Il ira à Rufisque ou à Couconda, à Malaguete, à Songo ou à Cassaba, car il sait que ce n’est point entre Vierzon et Romorantin qu’il trouvera de sitôt des fidèles comme Angèle et des pouvoirs à la mesure de ceux qui sont ici les siens.
La belle a déjà filé. Charbonnier, après quelques promptes ablutions, se rajuste et appelle son serviteur John Barnabé pour se faire raser. Le grand nègre mandingue qui a hérité du prénom de John chez son premier maître anglais et de celui de Barnabé chez Charbonnier se nomme en réalité Sanka. Il est pour l’heure d’une humeur de hyène et le fait savoir à son maître en s’acquittant du rasage avec une dextérité plutôt sèche. Barnabé a vu Angèle sortir de chez Charbonnier. Et Angèle est son épouse favorite. D’où son courroux ostentatoire. L’abbé, à qui la chose n’a pas échappé, tente de calmer le jeu. Conscient des dégâts que pourrait occasionner sur sa sainte personne un coup de rasoir malencontreux ou mal intentionné, c’est en homme de Dieu qu’il s’adresse à son robuste serviteur : « Ta femme a le diable au corps, Barnabé, mais je vais le lui enlever… C’est très difficile car le Malin laisse croire qu’il est parti et il revient… Elle le sait, et de jour comme de nuit, dès qu’elle le sent, il faut qu’elle vienne se confesser, toi tu dois continuer à prier…» Barnabé qui a déjà eu l’occasion de surprendre à deux reprises son maître en pleine « confession » avec une autre femme, la cuisinière du négociant Garbois, ne répond pas et enlève d’un seul coup de lame tout le savon à barbe qui reste sur le cou de Charbonnier. Pas la moindre égratignure, mais l’abbé a eu chaud aux veines jugulaires et ne peut réprimer un frisson rétrospectif, tandis que son homme à tout faire lui passe vigoureusement le menton à la pierre d’alun…
« Father Charbonnier, father Charbonnier ! Sir Crumley il demande après vous ! » Milton Domboué, tout essoufflé, vient d’entrer sans frapper. C’est le vieux domestique de Crumley, l’exportateur de gomme : « Que se passe-t-il, Domboué, nous sommes en guerre ?
— No, Father… Le french bateau Medusa, il a cassé sur le reef, people sauvés du shipwreck sont chez mister Duplantin avec mon maître qui m’a dit courir chercher vous…
— Va leur dire que j’arrive, Domboué ! Et toi, Barnabé, prépare la voiture ! »
Charbonnier vérifie l’ordonnancement de sa soutane, choisit un chapeau de paille à large bord et rejoint rapidement son domestique déjà installé aux rênes du petit landau attelé à un cheval bai. Alors que la voiture s’ébranle, l’abbé ne peut retenir une funeste pensée en forme d’espoir à l’encontre de son successeur, ce Picard pour lequel il prononcerait volontiers l’oraison des naufragés.
La
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