La malédiction des templiers
divine. Enfin, imagine… Tous ces gens, ces chrétiens… Mes prédécesseurs et mes rivaux les ont harcelés, les ont massacrés tout comme ils ont massacré Jésus il y a trois cents ans. Ils ont été persécutés, humiliés, mis aux fers, on leur a craché dessus, on les a laissés pourrir dans des culs-de-basse-fosse parce qu’ils refusaient d’adorer nos dieux païens et de procéder aux sacrifices qu’ils exigeaient. On leur a fait porter la responsabilité de toutes sortes de fléaux, de la famine aux inondations, on a violé leurs femmes, confisqué leurs biens… et pourtant ils n’en sont pas moins restés accrochés à leur foi. Et ils continuent de persévérer.
Il marqua une pause, s’émerveillant de la puissance du concept qu’il venait de décrire, avant de conclure :
— Voilà ce qu’est le pouvoir. Le vrai pouvoir. Et nous devons à toute force le protéger si nous voulons l’exploiter au maximum de son potentiel.
L’évêque espagnol se racla la gorge avant de prendre à son tour la parole :
— Vous avez fait beaucoup, Votre Majesté. Vous avez mis un terme à leur persécution. Vous les avez couverts de dons, d’exemptions de taxes, vous leur avez donné la chance de faire partie de la classe dirigeante, de prospérer et de répandre leur message.
— En effet, admit l’empereur, et cela fera de cet empire le plus grand de l’histoire de l’humanité. C’est pourquoi je ne peux pas permettre que ce message – cette vision – soit le moins du monde menacé. Ce doux révolutionnaire né il y a trois cents ans a fait de moi ce que je suis, il est l’instrument qui m’a permis d’unifier cet empire et de régner sur ce peuple avec un mandat que je tiens de Dieu Lui-même. Et il n’est pas question que je laisse quoi que ce soit faire courir le moindre risque à ce qui a été accompli. Ce serait non seulement tout à fait imprudent, mais aussi lourd de dangers pour nous tous.
Si le souverain pragmatique était préoccupé par les querelles qui agitaient les dignitaires de l’Eglise, l’homme profondément superstitieux qu’était Constantin n’était pas moins inquiet. Il craignait que les schismes frappant la chrétienté ne fussent l’œuvre du démon, et qu’une Eglise divisée fasse offense à Dieu et n’attire son courroux. Constantin se devait de contrecarrer l’ambition du diable. Il se voyait comme le successeur des premiers évangélistes, un homme dont la mission d’ordre divin consistait à protéger la chrétienté et à répandre la parole de Dieu jusqu’aux limites extrêmes de son empire, et au-delà.
Un treizième apôtre.
Il se devait de mettre un terme à ces luttes intestines.
C’est pour toutes ces raisons qu’il avait convié tous les évêques de son empire à se réunir à Nicée pour leur dire, sans ambages, qu’ils ne quitteraient pas le palais impérial avant d’avoir réglé leurs différends et de s’être accordés sur l’histoire qu’ils prêcheraient depuis leurs chaires respectives.
Une histoire unique.
Un dogme.
Plus de divergences.
Après des semaines de discussions acharnées, ils avaient finalement abouti à un consensus. Ils étaient tombés d’accord.
Ils tenaient leur histoire.
Toujours assis près du feu, Osius resta silencieux un long moment, étudiant l’empereur. Puis il se lança, d’une voix hésitante :
— Il reste un dernier point à débattre, Votre Majesté.
Constantin se tourna vers lui, interrogateur :
— Ah bon ?
— Les textes, fit Osius. Que souhaitez-vous qu’on en fasse ?
L’empereur fronça les sourcils. Les textes… Ces œuvres infernales à l’origine de toute cette discorde. Des écrits anciens, évangiles et ruminations remontant à l’aube de la foi, ouvrant sur toutes sortes d’interrogations.
Des interrogations extrêmement malvenues.
— Nous nous sommes arrêtés sur une orthodoxie, fit Constantin. Nous sommes tombés d’accord sur ce que devait être la vérité de l’évangile à partir de maintenant. Je ne vois aucune raison de brouiller les cartes.
— Ce qui signifie, Votre Majesté ?
Le souverain réfléchit un long moment, un frisson de doute lui parcourant l’échine.
— Qu’on les brûle, ordonna-t-il à son fidèle conseiller. Qu’on les brûle tous.
Osius songeait aux paroles de l’empereur en suivant des yeux ses deux acolytes qui remplissaient le chariot à la faible lueur des lanternes de l’écurie.
Il comprenait la
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