La Marque du Temple
des mercenaires du pays basque escaladèrent les rochers avec une aisance magnifique. Ils installèrent sur une crête un gros trébuchet alimenté par une carrière ouverte qui se trouvait sur place.
Malgré la présence de cet engin, Montségur put résister plusieurs mois et les assiégés en auraient profité pour organiser le transfert du fabuleux trésor qui y avait sans doute été entreposé en grand secret au fil des cent trente années écoulées.
Au mois de février de l’année suivante, les assiégés négocièrent une trêve de deux semaines sous prétexte de prendre des dispositions spirituelles. En réalité, pour permettre aux gardiens du trésor et du Livre sacré de les mettre en lieu sûr : six prêtres hérétiques, guidés par Bertrand de Morenci, furent cachés dans une cavité rocheuse par Pierre-Roger de Mirepoix, en bas du château.
Là encore, aucune indication ne mentionnait sa valeur ou l’endroit vers lequel il fut acheminé. Ce trésor existait-il vraiment à la parfin ? Serait-il composé de richesses d’une autre nature que de pierres précieuses, de ciboires, de pièces d’or ou d’argent pour être aussi aisément et discrètement transporté en lieu sûr ? Ou de leur Livre sacré, en tout et pour tout ?
Il est vrai que depuis le développement des foires dans le royaume de France au cours du siècle précédent, les marchands-banquiers déplaçaient rarement l’or et l’argent manipulés pour leurs transactions commerciales.
Comme nous l’avions constaté avec le mestre-capitaine de la Santa Rosa et pour le modeste trésor du chevalier de Montfort, les règlements étaient le plus souvent effectués à l’aide de lettres à changer, monnayables dans leurs différents comptoirs.
Si tel était aussi le cas pour le trésor des hérétiques albigeois, son transfert s’expliquait aisément. Mais une question d’autre importance se posait : qui en baillerait la contre-valeur en écus sonnants et trébuchants ?
Je me sentis alors quelque peu déçu et frustré. Tout comme le chevalier de Montfort, j’accordais plus de prix aux pièces d’or et d’argent, aux louis et aux florins, aux émeraudes, rubis et autres pierres précieuses, qu’à des bouts de parchemin, quelle que soit la qualité du veelin des lettres à changer. J’avais tort, mais je ne m’en rendis compte que bien plus tard, lorsque je fis l’expérience des prêteurs à réméré.
En mars, n’ayant plus de vivres et n’attendant plus aucun secours extérieur, les survivants n’eurent bientôt plus que la peau sur les os et leurs larmes pour pleurer.
Les croisés garantirent la vie sauve à la garnison, en hommage à sa bravoure. Non sans belle hypocrisie à en croire le texte que j’avais étudié, ils auraient promis d’épargner les hérétiques s’ils abjuraient leur foi. En sachant parfaitement qu’ils n’en feraient rien.
Les assiégés ouvrirent les portes de la forteresse le lendemain des ides de mars, le 16 mars de l’an 1244. Au petit matin, Hugues des Arcis et monseigneur Pierre Amiel, un évêque catholique, prirent possession de Montségur, le premier au nom du roi, le second au nom de l’Église.
Les novices, les diacres et tous les Bons hommes et les Bonnes femmes se rangèrent autour de leurs dignitaires. Monseigneur Amiel les conjura de renier leur foi. Ils refusèrent bien évidemment.
L’horrible tragédie commença alors, dictée par la même conduite que celle qui avait prévalu au cours des années précédentes. On attacha les hérétiques avec des lanières de cuir et on les poussa sans ménagement dans l’étroit chemin qui serpentait du château vers la plaine.
Ils furent ainsi deux cent vingt à être menés comme un troupeau de bétail vers un enclos qui avait été préparé au pied de la façade sud-ouest du château de Montségur. Une haute palissade de pals y avait été dressée. À l’intérieur, des fagots furent entassés avec de la paille et de la résine.
Les bons Chrétiens ne furent pas enchaînés à des poteaux, mais entassés pêle-mêle dans l’enclos. Les plus valides montèrent par des échelles improvisées et sautèrent sur les fagots. Les malades, les infirmes, les blessés, empoignés par les hommes d’armes, furent jetés comme des ballots d’étoffe.
Des torches furent affouées et lancées. Les flammes crépitèrent. Les cantiques entonnés par les croisés, le craquement du feu ne purent étouffer les cris et
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