La Marque du Temple
les dernières paroles des suppliciés : “ Puisse le Dieu du Bien vous pardonner les crimes qu’avez commis ! ”
Lorsque la nuit tomba, le monstrueux bûcher rougeoyait encore. Une fumée nauséabonde et noire exhalait l’atroce odeur des chairs humaines rôties dans le charnier. Elle couvrit la vallée et l’ensevelit dans ses ténèbres plusieurs jours durant.
Je ne pus m’empêcher de comparer cet événement au jour de la crucifixion et de la mort de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Mais les hérétiques albigeois ne croyaient pas en l’incarnation divine du Christ : dans le texte que j’avais lu, il n’y était point fait allusion.
Les hérétiques albigeois ne reconnaissaient pas notre Dieu vivant. Ils ne croyaient pas en la trilogie sacrée du Père, du Fils et du Saint-Esprit et ne voyaient dans le Christ que la simple incarnation d’un Parfait sur terre.
Ce dernier verset de l’histoire de la tragédie des hérétiques albigeois était daté et signé :
“Fait en l’an de disgrâce 1244 , le jour des ides de mars, le 15 de ce mois”. Il portait pour tout seing, sept initiales suivies de croix renversées :
P. R. M. ┼ R. P. ┼ B. M ┼
Il me parut évident que les rédacteurs n’étaient autres que Pierre-Roger de Mirepoix, Raymond de Péreille et Bertrand de Morenci.
Un post-scriptum, une sorte de codicille, précisait que pendant les deux nuits qui suivirent les ténèbres qui envahissaient la plaine, le sire Bertrand de Morenci accompagna les six survivants. Ils seraient parvenus à quitter leur cachette pour descendre la montagne à l’aide de cordes, puis à franchir les lignes ennemies.
Alors que les braises achevaient de se consumer dans le Prat dels Cramats , le champ des brûlés, ils quittaient le bûcher tragique pour aller mettre en lieu sûr le Livre sacré et le fabuleux trésor des Croyants. Sans autre précision derechef. Cette tragédie m’inspira un court poème :
Sous la braise qui couve , gît un feu qui dort.
Il n ’ attend qu’un souffle d’air pour s’embraser
Car il sait où trouver le bois pour leur bûcher
Et pleurer en larmes d’argent , leur cœur en or.
Lors de mes études d’écolier, j’avais ouï dire que la ville d’Agen s’était rendue vers l’an 1249 et que l’ultime résistance des hérétiques albigeois avait été éradiquée vers l’an 1255, après la prise de leur dernière forteresse, le château de Quéribus.
Mais, ce ne fut qu’en l’an de grâce 1291 que le roi Philippe, quatrième du nom, dit le Bel, interdit aux officiers royaux d’obéir aux inquisiteurs. Ce qui ne devait pas l’empêcher, seize ans plus tard, de faire appel à iceux pour qu’ils reconnaissent coupables d’hérésie les quatorze mil chevaliers qui obéissaient aux règles de l’Ordre du Temple en le royaume de France.
Le précieux codex ne donnait aucune indication sur l’endroit où les dignitaires albigeois survivants auraient caché leur Livre sacré et leur trésor. Ni sur les circonstances qui les auraient conduits à en confier la garde à quiquionques, à en croire le parchemin que j’avais découvert. Il était déjà bien étonnant que ce codex fût en la possession de la baronne Éléonore de Guirande.
Sauf si elle était une descendante de dame Guirande de Laurec, la veuve du sire de Laurec, qui avait été précipitée vivante dans le puits de son château de Lavaur, avant que les croisés de la ligue de paix ne l’ensevelissent sous des amas de pierres et de cailloux.
Une autre personne, pour les mêmes raisons, pouvait avoir été informée de l’existence du trésor des hérétiques albigeois : le chevalier Raoul Mirepoix de la Tour. N’était-il pas apparenté à cet aïeul, l’un des trois signataires du récit de la tragédie rapportée sur le codex à ais de bois, Roger-Pierre de Mirepoix ?
Et le seigneur de Castelnaud de Beynac, le triste sire à la pisse de chat, ne serait-il pas un des descendants de Pierre de Castelnau, cet évêque, légat pontifical du pape Innocent III qui avait été occis d’un coup de lance, dans une taverne du village de Saint-Gilles, par un écuyer du comte de Toulouse en l’an 1208, à quelques jours des calendes de février ?
J’en aurais mis ma main au feu, bien que je dusse me méfier des homonymies : par exemple, aucun lien de parenté n’existait entre Simon de Montfort, ce cruel chevalier de langue d’oïl apparenté aux familles royales
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