La Marque du Temple
chambre de dame Éléonore. C’était l’heure de ma leçon de choses. N’ai-je point obéi à vos ordres en acceptant que la baronne m’instruise de sa science ?
— Ne joue pas les coquefredouilles avec moi. Tu sais très bien ce que je veux dire. Je ne te parle pas de leçon. Je te parle des dogues ! Comment as-tu fait pour franchir le seuil ? Aurais-tu ensorcelé ces deux monstres, petite fagilhère ? demandai-je avec un air accusateur en rengainant ma dague.
— Clic et Clac ? Deux monstres ? Ce sont de bons vieux compains. Je crois qu’ils me préfèrent même à vous ! Je leur apporte parfois quelques os qu’ils éprouvent grand plaisir à ronger. Ils en jappent de plaisir. Vous les négligez par trop !
— Tu sais que les os ne sont pas toujours bons : en les brisant entre leurs mâchoires, ils éclatent et les escarbilles peuvent provoquer des perforations mortelles de leurs boyaux !
— Que nenni, messire, ces chiens-là ne reçoivent de ma main que des os tendres, enrobés de chair et moelleux à souhait.
— Est-ce à dire alors que n’importe qui peut leur passer sur le corps pour entrer dans ma chambre ? Je vais les sermonner de ce pas, dis-je en faisant semblant d’ouvrir la porte.
— Sauf votre respect, seriez-vous jaloux, messire écuyer ? Clic et Clac n’obéissent qu’à vous, bien sûr. Personne ne s’aviserait de les approcher de près ou de loin. Ils inspirent une peur diabolique à l’ensemble de la garnison, chevaliers et écuyers compris. Ils n’aiment que vous. Enfin, que vous et moi, minauda-t-elle.
« Et ils me le rendent mieux que vous ne le faites vous-même, décocha-t-elle en rougissant. Vous négligez par trop ces pauvres bêtes. Il est vrai que vous avez avec dame Éléonore de Guirande plus noble compagnie.
— Or donc, serais-tu jalouse de la baronne ?
— Oui, messire. Ou plutôt, non, mais Clic et Clac le sont. Ils s’en sont ouverts à moi souventes fois, lorsque j’apportais à votre… votre nouvelle et séduisante dame de compagnie, des linges propres, des vêtements, de quoi se sustenter et se désaltérer.
« Si j’avais dû attendre que vous soyez présent pour m’ouvrir la porte, je crains que la baronne ne soit tombée d’inanition et morte de soif, dans un état de puanteur insupportable. »
Je réalisai en effet, que sans y prendre garde, je n’avais pas toujours été là pour ouvrir la porte à Marguerite ou à René lorsqu’ils assuraient le service de bain ou de bouche de la baronne. Marguerite n’en resta pas là.
« Plutôt que de me sermonner à tout va, vous auriez pu m’adresser compliment pour avoir décoré votre chambre, dressé des tapisseries pour vous protéger du froid, préparé un bon feu dans la cheminée et un baquet pour votre bain.
« Comme vous avez convoqué Élastre de Puycalvet, Guy de Vieilcastel et Amaury de Siorac, j’ai pensé que vous souhaitiez partager le pain et le vin avec eux. Ils ne devraient pas tarder.
— Il manque un couvert.
— Auriez-vous prévu un autre invité, messire ?
— Oui. Toi. Tu partageras notre modeste repas ce soir. Ne t’en déplaise.
— C’est impossible, messire, une lingère ne peut prendre place en d’aussi noble compagnie. C’est contraire à toutes les règles de la bienséance.
— Peu me challent les règles. C’est un ordre de ton lieutenant en cette place. René le Passeur assurera le service. Je vais faire entrer Clic et Clac. Et ce chat ? Que fait-il là ?
— Ce chat m’appartient. Il me suit presque aussi fidèlement que vos cerbères. Il chasse les souris dans tout le village, comme vous avez pu le remarquer si vous avez quelque sens de l’observation. René est averti ; il ne devrait point tarder à servir votre souper.
— Gare au cul de ton chat. Clic et Clac n’en feront qu’une bouchée.
— Détrompez-vous, messire. Clic, Clac et Cloc – Cloc, c’est le nom que je lui ai donné – s’entendent comme lard et cochon ! » affirma-t-elle en me posant un bref baiser sur la joue.
Nous entendîmes les chiens grogner. Les trois écuyers devaient se présenter devant la porte. Je leur ouvris, apazimai Clic et Clac et invitai tout mon petit monde à prendre place séant.
Les écuyers se glissèrent dans la pièce, le regard inquiet, frôlant les murs, les dogues sur leurs talons, avant de s’émerveiller et de se diriger vers l’âtre en se frottant les mains et se tournant pour se réchauffer le
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