La Marque du Temple
d’Aigrefeuille. Tous les indices convergeaient, hélas, vers mon compain, mon meilleur ami, Arnaud de la Vigerie, qui avait certainement agi en conspirant avec l’épouse du baron de Beynac. Mais Arnaud s’était esbigné. Il ne serait pas confondu de sitôt. L’homme était rusé et le piège que j’envisageai de lui tendre devrait être particulièrement ingénieux pour qu’il n’en flaire pas le danger.
Je frétillais comme un gardon fraîchement péché lorsque je lus plus loin, que, pour être plaisant à la baronne, sa sœur en la confrérie du Libre Esprit, Mirepoix de la Tour avait tenté une démarche auprès du chevalier Gilles de Sainte-Croix, commandeur de l’Ordre de l’Hôpital de Saint-Jean de Jérusalem, à trois jours des nones, le 4 mars 1345.
Lorsqu’il l’eut interrogé sur l’existence des fioles et tenté d’en bailler un bon prix pour les acquérir, il avait été poliment mais fermement éconduit et en avait été mortifié.
L’aurait-il occis par vengeance, me demandai-je soudainement ? Cette idée allait à l’encontre de mes présomptions, mais je l’imaginais mal avoir commis un tel crime sous l’emprise d’un simple dépit. L’acte aurait été disproportionné et ne correspondait point aux sentiments profonds que Romuald Mirepoix de la Tour voulait faire accroire dans son long mémoire en forme de testament spirituel.
Mathieu Tranchecourt, la langue déliée par le vin qui coulait d’abondance ce soir-là, m’avait certes affirmé que le chevalier s’était gaussé de lui en franchissant la barbacane de notre village fortifié, le jour même où le chevalier de Sainte-Croix avait été occis. Je devais tirer cette affaire au clair et découvrir lequel des deux s’était trompé de date. Fort heureusement, je savais comment vérifier l’exactitude de leurs déclarations contradictoires au demeurant.
Par ailleurs, Romuald Mirepoix de la Tour reconnaissait aussi être passé par la salle des Gardes, le jour de la mort de Julien Liorac, être descendu dans le cachot, l’avoir vu agoniser à travers la grille, aux confins de la vie et de la mort.
Il n’avait pas osé crier à l’arme, de crainte qu’on ne l’accuse d’avoir torturé le malheureux, bien qu’il n’eût pas les clefs pour pénétrer à l’intérieur. Il confessait avoir alors fait preuve de lâcheté et en demandait pardon à Dieu.
Cette fois, je ne doutais point, depuis les dernières paroles de la châtelaine, qu’il fut innocent de ce crime et de celui de Mathieu Tranchecourt. Car je connaissais à présent l’assassin des deux sergents d’armes : un seul homme et une seule femme avaient eu les clefs de l’armurerie, du coffret aux poisons et du cachot dans lequel j’avais condamné Mathieu Tranchecourt au supplice de la pierre.
Et une seule personne, à part moi, était informée de la mort du baron de Beynac. La seule qui, a priori, avait pu s’en ouvrir à Éléonore de Guirande. Au dépris de la parole qu’elle m’avait donnée. En profitant d’un des moments où j’accompagnais Clic et Clac pour leur dégourdir les pattes.
La troublante baronne m’avait livré son nom en parlant avec une feinte innocence, de feu le baron, son époux : la même personne était à l’origine de tous les maux de la place.
Marguerite ne tarderait pas à me confirmer que personne n’avait ouï la triste nouvelle. Je savais comment lui prêcher le faux pour connaître la vérité. En tout cas, je l’espérais vivement. Si je voyais juste, si le bruit de la mort du baron de Beynac s’était répandu, les lingères et les servantes des cuisines l’auraient clabaudé à tout va.
Mais, pour confondre le traître et l’assassin, je devais le prendre en flagrant délit de félonie et mettre fin à ses agissements criminels, en lui tendant un piège d’une autre nature que celui que je réservais à Arnaud de la Vigerie.
J’avais ourdi un véritable complot. Il tomberait probablement dans le panneau si mon affaire était bellement préparée et rondement menée. Si sa fourberie était aussi grande que je le pensais. Et s’il entretenait, ainsi que Mathieu Tranchecourt me l’avait laissé entendre avant de mourir empoisonné, de discrètes relations avec le sire de Castelnaud de Beynac, ce félon à la botte des Godons.
J’étais convaincu que ce grand félon succomberait à la tentation et plongerait, à n’en pas douter, la tête la première dans mon piège, sans se douter le
Weitere Kostenlose Bücher