La Marque du Temple
et menaçaient Raoul d’Astignac et ses deux écuyers. Ces derniers, la main sur la poignée, eurent la sagesse de s’apazimer et de ne pas tirer l’épée. Le moindre geste risquait bien de s’achever en une épouvantable mazelerie.
Le sergent qui avait enflammé la troupe pour cette sinistre exécution, affirma avec force convictions, en s’adressant au capitaine d’armes et en m’ignorant superbement :
« La fagilhère a avoué. Elle tient dans son bissac des graines de pavot, des racines de bryone, le navet du Diable, de la poudre de jusquiame et des tiges de bétoine aussi feuillues que la queue de Satan !
« C’est une sorcière ! Elle n’a pas guéri Courtecuisses ! Elle l’a empoisonné ! Notre compain est passé de vie à trépas ce matin, à l’aube, après avoir agonisé des heures durant dans d’atroces souffrances ! Après moult convulsions. Une terrible agonie ! Dans son délire, il a désigné la fagilhère, la lingère qui accompagnait le nouvel écuyer du baron ! À mort la sorcière !
« Pendons-là haut et court, sans plus attendre », cria le sergent qui s’arrogeait le commandement de ce groupe de cuistres. Un ignoble rictus de haine tordait sa bouche.
Plusieurs chevaliers et écuyers sortaient de leur maison forte et se dirigeaient avec nonchalance vers les lieux de l’exécution. Des serviteurs accouraient de toutes parts. Non sans une pointe d’amusement. Les museries devaient se faire rares en le village de Commarque. La pendaison d’une femme ne devait point être chose fréquente. Même parmi cette garnison de soudards mal soldés.
René s’était déplacé. Il pointait toujours aussi fermement son arbalète et nous tenait en enfilade. Il beugla :
« Qu’un seul ne bouge et quatre d’entre vous seront bellement embrochés incontinent ! Messire Bertrand, écartez-vous à présent d’un pas à dextre ! Et vite, par Saint-Christophe ! » m’intima René qui décidément, dans le feu de l’action, ne béguetait plus. J’obéis sur le champ et m’écartai vivement de deux pas pour dégager sa ligne de tir.
Brave René ! Il avait certes passé outre à mes ordres de ne point quitter le seuil de la porte, mais pour une bonne cause. Celle de Marguerite. Arbalète brandie, il visait le groupe en rébellion. Neuf têtes levèrent le nez dans sa direction. Un véritable carnage s’annonçait. Nous le risquions à tout moment. Au moindre battement de cils.
Raoul d’Astignac ne portait plus de barbe ce matin. Seuls un bouc et une moustache drue reliée au bouc encadraient le bas de son visage dont les lèvres étaient atteintes d’un tremblement nerveux. Il prit la parole d’une voix calme qui cachait mal son émeuvement et son courroux :
« Mécréants, revenez à raison ! Moi seul porte la responsabilité de la mort de notre arbalétrier. Je reviens de l’armurerie : Courtecuisses a eu le grand malheur de placer un carreau empoisonné sur son arbrier, hier au soir. Un mélange de datura et de ciguë, deux poisons mortels. Onques, personne n’aurait dû s’en munir sans mon ordre formel. Ces carreaux sont tenus dans un local séparé muni d’une serrure. Je croyais être seul à en détenir la clef, dit-il en la brandissant.
« Or donc, j’ai constaté que la serrure avait été forcée. Un carreau manquait. Celui qui a empoisonné Jehan Courtecuisses lorsque, par sa maladresse, il a déverrouillé la noix et décoché le vireton dans son pied au moment de désarmer son arbalète. »
Dans un surprenant élan d’oblation, le capitaine d’armes mit un genou en terre devant moi et me supplia :
« Ne leur reprochez pas leur erreur, moi seul suis à blâmer ! »
J’observai la réaction des soudoyers à ses propos en les toisant de haut. Après un instant d’hésitation, les guisarmes se redressèrent, les épées furent rengainées dans leur fourreau et les têtes s’inclinèrent.
« Sont-ce là vos gens de pied, vos arbalétriers, messire capitaine ? Je ne vous en fais point compliment. Ces ribauds déguenillés, sans foi ni loi, prétendraient-ils exercer droit de haute justice sur les terres du baron et du seigneur de Commarque ?
« Ils mériteraient d’être décolés ou pendus. Mais cela n’est point en mes droits. En revanche, il est de mon bon droit et de mon devoir de les châtier pour le crime qu’ils allaient commettre. Ont-ils quitté leur apostage ?
— Làs, je le crains, messire, me répondit
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