La Marque du Temple
la porte.
« Vous voici enfin, messire Brachet ! Je ne vous attendais plus. Soyez le bienvenu en cette sinistre demeure.
— Je vous salue et vois avec plaisir que vous ne souffrez tantôt, ni de fièvre tierce ni de quelque mal de poitrine.
— Or donc, vous seriez notre nouveau maître ?
— Aussi longtemps qu’il plaira au baron, ma Dame.
— Vous ne pouvez être pire que ce triste sire, le baron, mon mari, renchérit-elle, une moue de dédain au coin de la bouche.
— N’en déplaise à ceux ou à celles que ma présence dérange au point de tenter de m’occire.
— On ne reconnaît un génie qu’au nombre d’imbéciles ligués contre lui, ironisa-t-elle.
— Je vois avec plaisir que la réclusion n’a point émoussé le tranchant de votre parole. Sachez cependant, ma Dame, que je ne suis point venu pour me livrer à quelque joute oratoire avec vous, mais pour vous poser des questions.
— Oui, bien sûr, je m’en doutais : vous êtes le nouveau référant de tranquillité du baron de Beynac.
— J’instruis aussi pour mon propre compte et ne suis point délateur, mais enquêteur.
— Et bien enquêtez, mon ami. Enquêtez. Voulez-vous un peu de ce vin d’hippocrace ? » me demanda-t-elle en versant le contenu d’un carafon dans deux gobelets en étain. Elle m’en tendit un et trempa les lèvres dans le sien.
« Je dois vous informer que vous êtes consignée en cette chambre et ne pourrez désormais prendre langue qu’avec trois personnes : Marguerite, notre lingère, votre nouvelle servante, René le Passeur, mon sergent d’armes, et moi.
— Et si je refuse tout de gob ?
— Vous seriez en grande disette et en grande soif, vous n’auriez ni bain ni vêtements propres. Est-ce là votre souhait, baronne ?
— Peu me chaut en vérité : je pratique le jeûne de quarante jours trois fois l’an et je suis peu suante.
— Et peut-être qu’à votre âge avancé, ne subissez-vous plus la souillure des périodes menstruelles d’une femme plus jeune et n’avez nullement besoin de changer de linge ? » ajoutai-je en la toisant ostensiblement des pieds à la tête, comme si je voulais m’assurer qu’elle n’était plus de première jeunesse.
Mortifiée par cette parole blessante, elle serra les mâchoires, me fixa durement de ses yeux qui avaient viré au gris souris, mais s’accoisa et m’invita à prendre siège.
Une guimpe blanche enserrait ses joues aussi fermement que les jambes d’un cavalier se ferment sur son destrier lorsqu’il charge à l’outrée.
Elle portait sur le chef un chaperon de couleur émeraude, cerclé de fils d’or. Les manches de sa robe blanche en soie sauvage, évasées sur les poignets, en masquaient les mains. Je ne voyais que l’extrémité des doigts dont la longueur et la finesse étaient mises en valeur par des ongles longs et vernis.
Je changeai de ton et confortai la Dame blanche d’une voix plus mielleuse :
« Sachez que je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour adoucir votre réclusion si vous me faites la grâce de répondre à mes questions. Et d’apprendre à votre nouvelle lingère l’art de la lecture et de l’écriture ? Je la crois dotée de moult belles qualités et d’un esprit vif, lui proposai-je, en me souvenant de la suggestion du chevalier de Lebestourac.
— Présentez-moi votre protégée. Si elle n’est point en ces périodes de souillure menstruelle. Je n’en supporte que le mien parfum, crut-elle bon d’ajouter afin de me faire bien entendre qu’elle n’était point si âgée que je l’avais insinué, avant de trancher, d’un ton sans réplique :
« Je jugerai s’il convient de l’instruire ou non. Mais n’allez point imaginer que je puisse livrer quelques confidences à une modeste lingère. Il suffit d’un seul référant de tranquillité en cette place !
— Je vous remercie en effet de me réserver vos confidences.
— Bien. Ne tournez donc plus autour du pot et dîtes moi de quoi serai-je accusée ? »
Je laissai à un ange le temps de prendre son envol, avant de lâcher :
— De complicité dans le plus grand crime que le monde ait connu à ce jour ! »
Je scrutai son visage. Elle ne broncha pas. Elle se contenta de m’observer, d’esquisser un léger sourire avant de s’insurger :
« Un crime ! Complice d’un crime ! Vous rendez-vous compte, messire Brachet de l’énormité de vos propos ? Il y a là grande batellerie ! Et de
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