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La Marquis de Loc-Ronan

La Marquis de Loc-Ronan

Titel: La Marquis de Loc-Ronan Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Ernest Capendu
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nous causerons plus à l’aise.
    – Il n’y a personne chez toi ?
    – Personne que la petite.
    – Elle est toujours dans le même état ?
    – Toujours.
    – Pourquoi l’as-tu gardée ?
    – Cela m’amuse de la faire souffrir, et cela me venge de ce que m’ont fait endurer ces brigands que tu connais.
    – En parlant d’eux, je n’ai pas eu de chance de n’avoir pas tué Marcof.
    – Ça, c’est bien vrai.
    – Mais je le retrouverai.
    – Espérons-le ! soupira Pinard en tirant une clef de sa poche, et en l’introduisant dans la serrure d’une porte devant laquelle les deux hommes se trouvaient.
    La chambre dans laquelle ils pénétrèrent était située au troisième étage de la maison. C’était une vaste pièce démeublée et garnie seulement d’une table et de quelques chaises. Les chaises étaient en paille grossière, et, sur la table, on voyait une grande quantité de bouteilles et de verres à moitié vides. Un fusil, une paire de pistolets, un sabre d’infanterie et un autre de cavalerie étaient suspendus à la muraille. Deux fenêtres basses et à châssis de bois dits à la guillotine, laissaient pénétrer le jour qui commençait à baisser. Une seconde porte, communiquant avec une autre pièce, était placée en regard de celle d’entrée.
    Pinard et son compagnon prirent chacun une chaise et s’approchèrent de la table.
    – As-tu soif ? demanda le sans-culotte.
    – Cela dépend du vin que tu as dans ta cave, répondit Diégo.
    – Oh ! sois sans crainte ; il provient des celliers d’un aristocrate de gros armateur que j’ai fait guillotiner il y a six semaines. Les premiers crus de Bordeaux, rien que cela.
    – Du vin girondin !
    – Il vaut mieux que les députés de son pays.
    – Fais-m’en goûter, alors.
    – Ohé ! la Bretonne ! cria Pinard en se tournant vers la porte qui donnait dans l’intérieur.
    Un bruit léger répondit à cette interpellation prononcée d’une voix rude. La porte s’ouvrit doucement, et une jeune fille parut timidement sur le seuil.
    En apercevant la nouvelle venue, qui paraissait ne pas oser entrer, Diégo ne put maîtriser un geste d’étonnement. Pinard se mit à rire.
    – Tu la trouves changée, n’est pas ? dit-il en frappant sur l’épaule de son compagnon.
    – Méconnaissable ! répondit l’Italien en considérant attentivement la jeune fille qui demeurait immobile, encadrée par le chambranle de chêne comme une gravure ancienne.
    – Elle est encore assez gentille, pourtant, continua le sans-culotte.
    Diégo garda le silence. La jeune fille n’avait pas changé de position. Elle portait un costume complet de paysanne de la basse Bretagne ; mais ce costume, qui jadis avait dû briller d’élégance et de coquetterie, était prêt à tomber en lambeaux. Ses pieds nus étaient marbrés par le froid. Sa coiffe déchirée retombait sur ses épaules. Et cependant, comme l’avait fait observer Pinard, cette jeune fille était belle encore sous cette livrée ignoble de la plus profonde misère. Ses longs cheveux blonds descendaient en flottant, et l’enveloppaient de leurs tresses soyeuses. Ses joues amaigries et pâles faisaient ressortir l’éclat de ses yeux noirs ; mais ces yeux, largement ouverts, semblaient manquer de regard. Ils étaient d’une fixité étrange.
    De temps en temps sa bouche mignonne se contractait, et elle paraissait murmurer quelques mots à voix basse. Ses mains sèches et rougies se rapprochaient alors comme celles des enfants à qui on apprend le saint langage de la prière. La physionomie s’illuminait d’une lueur subite, puis l’expression changeait tout à coup. De grosses gouttes de sueur perlaient à la racine des cheveux, ses doigts se crispaient, son visage indiquait l’épouvante, ses yeux s’ouvraient plus grands encore, et un cri s’étouffait dans sa gorge.
    Elle tremblait de tous ses membres et paraissait étouffer. Enfin des larmes abondantes tombaient de ses paupières et le calme renaissait. Puis aux pleurs succédait le rire ; mais ce rire effrayant dont on a tant parlé, ce rire nerveux et strident qui indique la souffrance et fait mal à ceux qui l’entendent. Pinard fit un geste brusque en se tournant vers la jeune fille. Celle-ci tressaillit, et, baissant la tête par un mouvement semblable à celui d’un enfant qui a peur d’être maltraité, elle s’avança craintivement, obéissant au sans-culotte comme un esclave eût obéi à un

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